Le Sphinx du Pacifique — Chapitre 6

Ismaël Raynes se morfondait. Incapable de supporter la compagnie des trois anglais, dès qu'il le pouvait sans nuire aux travaux communs, il partait pour de longues promenades dans l'île. Son premier but était de se retrouver face à lui-même. L'oratoire était devenu insuffisant pour contenir son mal être. Marcher lui faisait du bien. Il échappait ainsi aux regards interrogateurs du professeur et à ceux, tantôt moqueurs, tantôt méprisants du docteur. Il s'était juré de ne pas chercher le pirate de manière systématique. Par contre, il n'était pas sans espérer un signe de la Divine Providence qui lui permettrait de le retrouver de manière fortuite.

Comme s'il avait eu vent de ce secret espoir, Fag-End disparut complètement. Il cessa de travailler du jour au lendemain. Personne ne le vit plus. Il aurait quitté la surface de l'île qu'il n'aurait pas été plus invisible. Ismaël fut convaincu d'avoir pressenti le drame du malheureux et d'avoir été impuissant à le prévenir. Il continua ses marches solitaires, s'attendant à chaque instant à se trouver devant un cadavre qui témoignerait de l'échec de sa mission. Plus terrible serait une absence si prolongée qu'elle se conclurait par le même verdict, mais dans l'incertitude de la fin. Dans quelles conditions atroces ? Dans quelle infinie solitude ? Il s'accusait de n'avoir pas été à la hauteur de la situation, d'avoir fait preuve de passivité, d'avoir trop hésité ou trop insisté dans ses paroles. Il en demandait pardon à Dieu et au bandit mais ne pouvait trouver la paix.

La vue inopinée de Fag-End, assis sur un promontoire basaltique, de l'autre côté de la chaîne montagneuse lui causa un éblouissement. Il s'attendait si peu à le voir là qu'il douta de sa vision. Bien qu'assez éloigné, il ne bougea pas de crainte qu'il ne se décompose dans l'air s'il osait faire le moindre mouvement. Et pourtant, c'était bien lui, en chair —si on pouvait dire vu sa maigreur !— et en os. Voûté, recroquevillé sur lui-même, il ressemblait à un gigantesque point d'interrogation dans lequel on avait du mal à retrouver l'enchevêtrement des membres squelettiques.

La grève rocailleuse qui s'étendait jusqu'au rocher était recouverte de quelques centimètres d'une eau parfaitement limpide dans laquelle des centaines de poissons multicolores évoluaient gracieusement.

Ismaël, se recommandant à Dieu, prit une profonde inspiration et se décida à risquer le tout pour le tout. Le hasard l'avait amené là ce jour là alors que Fag-End y était aussi. Sans doute était-ce plutôt un signe du Ciel à ne pas négliger. Tout en comprimant les battements désordonnés de son cœur, il se dirigea vers le promontoire. Etait-ce la nervosité ou la malchance ? Une pierre instable roula sous ses pieds et lui fit perdre l'équilibre. Il tomba dans trente centimètres d'eau, accident stupide qui ne pouvait passer inaperçu.

Le pirate se retourna vivement au bruit. Dans un éclair, Ismaël, qui maudissait sa maladresse, put voir un visage brun, sillonné de larmes, plus décharné que jamais, pathétique de désarroi et de souffrance : le masque de dérision haineuse n'avait pas eu le temps de s'appliquer sur lui.

Le marin se releva tant bien que mal, trempé par ce bain imprévu et demeura immobile, incertain désormais quant à la conduite à tenir.

— Vous vous êtes blessé ? demanda Fag-End comme Ismaël ne bougeait toujours pas tandis qu'il voyait une tâche rougir sa chemise.

— Non, non. Je ne crois pas. Merci.

— Si. A votre bras.

Ce n'était qu'une égratignure superficielle.

— Ce n'est rien.

Enhardi par cet accueil inattendu, Ismaël avança de quelques pas. Fag-End lui tendit la main pour l'aider à grimper sur le rocher et, se déplaçant un peu, lui laissa la place afin qu'il s'assoie à ses côtés. Le marin obtempéra aussitôt.

— Merci, murmura-t-il.

La situation était tout sauf banale. Il s'était affalé dans l'eau comme un idiot et malgré cela, Fag-End n'avait eu aucune réaction de rejet ou de fuite. Au contraire. Il s'était inquiété des suites de cette chute et même l'avait explicitement invité à le rejoindre sur son rocher.

— Que faisiez-vous là ? gronda le pirate d'une voix revêche, interrompant le cours de ses pensées optimistes. Savez-vous que je suis armé ?

Il avait posé son regard cruel et menaçant sur son compagnon. Le masque cachait à nouveau l'infinie détresse surprise quelques secondes plus tôt. Fag-End avait-il conscience de s'être ainsi dévoilé et si tel était le cas, allait-il le faire payer cher ? Tout portait à le croire. Le marin acquiesça pourtant d'un signe de tête.

— Et le sachant, vous m'avez approché ? ricana le pirate en montrant des dents de carnivore. Vous imaginez-vous donc que j'hésiterai à me servir de ce merveilleux joujou pour vous saigner comme un porc ?

Il avait arraché un coutelas à ce qui lui servait de ceinture et le retournait entre ses mains avec complaisance. Le sourire qu'il affichait donnait à sa physionomie un aspect démoniaque et glaçant. Ismaël, en le voyant, éprouva tout le contraire de ce qu'une personne normalement constituée aurait ressenti. Il fut envahi d'une grande paix. L'angoisse insidieuse du début l'avait quitté. Il était là, devant le criminel, libre de toute peur, prêt à mourir de cette main déjà tâchée de sang. Qu'importait que Fag-End le « saignât comme un porc » ? Cet ultime crime était peut-être nécessaire à sa rédemption.

Le marin put donc rendre au pirate un regard aussi clair et lumineux que l'eau qui scintillait à leurs pieds. Fag-End, lui, manifesta aussitôt une certaine gêne et détourna très vite les yeux.

— Je sais que vous êtes capable de tuer, mais je ne crois pas que vous le ferez aujourd'hui, dit le marin avec un calme admirable.

— Et pourquoi donc ? rugit le pirate en serrant sur le manche du coutelas ses doigts crochus et en l'agitant de belliqueuse manière. Qu'est-ce qui peut vous autoriser à autant de confiance ?

A ce cri rauque, plein de défi haineux, Ismaël Raynes répondit très doucement :

— Est-elle si mal placée ?

Fag-End parut foudroyé par une décharge électrique qui le secoua convulsivement des pieds à la tête. Puis, après un long, un interminable silence, il murmura d'une voix qui semblait brisée :

— Non !

Au même moment, l'arme s'échappa de ses doigts, rebondit sur la roche avant de se nicher dans une anfractuosité, sous le niveau de la mer. Fag-End ne fit aucun geste pour la rechercher. Il demeura immobile, l'œil rivé sur le couteau perdu, la respiration saccadée et bruyante. Ismaël regardait à la dérobée le profil net, aux lignes fines et hardies. Malgré la crasse, la tristesse, la dureté qui les défiguraient, les traits réguliers trahissaient une grande jeunesse et une beauté étrange.

— Vous m'espionnez ? cracha soudain le criminel avec toute sa hargne en faisant face à cet observateur silencieux dont il avait dû sentir le regard posé sur lui. Que faisiez-vous là, d'abord, sinon que vous me surveilliez de la même manière ?

— Je ne vous surveillais pas, répondit gravement Ismaël.

— Que faisiez-vous, alors ?

— Je me promenais...

— En laissant vos compagnons faire tout le travail ? se moqua le pirate. Charmant pour eux ! Mais cela ne vous ressemble pas ! Que faisiez-vous ?

Le ton était devenu féroce. Si Fag-End pensait pouvoir intimider le marin, il faisait une lourde erreur. Ismaël ne se laissait pas manipuler si facilement.

— Je me promenais, répéta-t-il. Je marchais sans but pour échapper aux pensées qui me tourmentaient. C'est le hasard qui m'a fait arriver ici.

— Pourquoi vous êtes-vous approché ?

Ismaël chercha son regard sans le trouver :

— Parce que je refusais de m'éloigner sans essayer de vous aider à surmonter votre souffrance intérieure,... intime...

— Oh, que ces choses là sont bien dites ! rétorqua Fag-End, persifleur. Quelle poésie ! Quel romantisme décadent ! Vous avez beaucoup trop fréquenté Goethe, Hugo, Shelley et autres sentimentaux de cet acabit. Vous divaguez sottement. Je n'ai aucune souffrance, ni intérieure, ni intime, ni autre !

Il posa ses yeux d'oiseau de proie sur le marin qui se sentit brûlé par leur éclat de cruauté.

— Une seule chose me comblerait, monsieur Raynes. Une seule. Reprendre mon existence d'avant. Tuer. Torturer. Voir le sang couler à flots sur le pont d'un navire, respirer l'odeur grisante de la poudre, entendre les hurlements de mes victimes, me coucher avec la satisfaction des morts de la journée et dormir en rêvant à ceux du lendemain. Çà, c'était une vie. Une belle vie.

Malgré l'effet d'hypnose de ce regard incandescent, Ismaël Raynes osa répondre d'une voix étonnamment ferme et tranquille :

— Vous mentez, Fag-End !

Il crut que le pirate allait l'empoigner pour lui fracasser la tête sur une arête tranchante de la roche basaltique. Il savait qu'il avait été insensé de provoquer ainsi son interlocuteur, mais le coup de bistouri était parti instinctivement.

— Vous m'accusez de mentir ? rugit Fag-End, démoniaque.

Impavide, Ismaël semblait n'éprouver aucune crainte. Ayant déjà fait depuis longtemps le sacrifice de sa vie, il n'hésitait pas à parler hardiment.

— Pour créer une illusoire défense qui ne vous trompe même pas vous-même, vous vous cachez derrière de faux regrets dans l'espoir d'oublier que vous souffrez de votre passé de criminel. La vie que vous regrettez, c'est celle d'avant, celle dans laquelle vous aviez d'autres valeurs, d'autres références... Vous savez cela aussi bien que moi, mais vous ne consentez pas à l'avouer...

La colère du pirate retomba brusquement comme une outre que l'on perce.

— Je voudrais pouvoir me tuer ! gémit-il dans un atroce sanglot.

Ismaël, qui n'en revenait pas de ne pas avoir été précipité au bas du rocher, esquissa un geste de compassion qui fut repoussé sans ménagement.

— Cessez vos simagrées ! hurla le pirate en se dressant de toute sa taille, avec un poing levé qui voulait maudire le Ciel et son compagnon. Oui, mourir. Mourir ! Avec joie !

Un rictus d'intolérable souffrance convulsa ses traits égarés.

— Je n'ai rien à faire sur cette terre ! Je suis inutile, nuisible et lâche. D'une insondable lâcheté. Incommensurable. Ce couteau, je n'ai, hélas, pas encore trouvé en moi assez de courage pour me l'enfoncer dans la poitrine...

— Tant mieux ! s'écria spontanément le marin qui devinait que le regret était réel et la catastrophe proche.

— Tant mieux ? répéta le pirate d'une voix stridente de fureur moqueuse. Vous... Vous...

La colère qui l'étouffait l'empêchait de trouver ses mots. Ismaël en profita pour dire doucement :

— Vous souffrez, Fag-End, j'en suis conscient, mais je constate aussi avec plaisir que la vie reste plus forte que la mort. C'est signe qu'il y a en vous quelque chose de puissant qui vous empêche de commettre un acte irréparable...

— Pas quelque chose ! rectifia farouchement Fag-End. Quelqu'un ! Vous !

Il aboya ce dernier mot avec un accent de rage inouïe, comme s'il accusait le marin d'être ainsi responsable de sa survie. Voyant l'effet produit sur Ismaël, blême d'effroi et de surprise, il poursuivit d'un ton fiévreux :

— Ah, je vous épate ! Oui, c'est à cause de vous que je ne me suis pas encore tué, que je résiste toujours à la tentation du suicide. Rude fardeau que je vous fais porter là, n'est-ce pas ? Si le gros confit d'oie l'apprenait, il serait mûr pour l'asile au lieu de chercher à y placer les autres !... Pourquoi un tel privilège vous est-il accordé ? Le sais-je moi-même ? soupira-t-il avec une lassitude douloureuse, presque désabusée.

Ismaël l'écoutait, suspendu à ses lèvres, bouleversé. Le pirate reprit, d'une voix altérée, plus basse, plus vibrante :

— Peut-être que je le sais... Vous, vous croyez encore en moi. Vous avez eu la folie de m'appeler votre ami, moi l'assassin, le délateur, la pourriture par excellence. Et vous dites vrai, je le sais. Vous ne mentez jamais... Vous ne tremblez pas devant moi, même quand je suis armé, même quand je rugis, même quand j'attaque. Vous me regardez sans haine, sans peur, sans hypocrisie... Vous m'acceptez dans ma déchéance. Vous voyez en moi un homme alors que tous, y compris moi-même, voient un monstre... Quand je me vois dans vos yeux, j'ai le sentiment que je suis encore digne d'être aimé... alors, c'est impossible, je ne peux décevoir la confiance que vous avez placée en moi... C'est pour cela que vous m'empêchez de me tuer...

Fag-End s'était rassis lourdement sur le rocher, les épaules écrasées par le poids de son doute, de son découragement, de sa souffrance. Ismaël, la gorge nouée d'une émotion intense, saisit une main qu'il ne chercha pas à dégager. N'ayant plus de mots à sa disposition pour faire face à une situation aussi extrême, il se fondit dans la prière.

— Laissez-moi seul maintenant, monsieur Raynes !

Le ton était impérieux, à nouveau hostile. Le marin s'autorisa à regarder son interlocuteur que, par pudeur, il avait évité d'observer durant le long silence qui avait précédé. Il vit un visage que la douleur, l'écartèlement, l'affrontement de passions contradictoires rendaient bestial. Seuls vestiges d'une humanité refoulée et malmenée, des larmes tremblaient encore dans les yeux fous.

— Allez-vous en ! reprit Fag-End d'une manière moins autoritaire mais tout aussi insistante. Allez-vous-en ! Par moments, je voudrais vous tuer ! Ne restez pas là !

Et après une pause, il ajouta avec une indicible expression d'angoisse :

— Je vous en supplie !

Des éclats fauves ensanglantaient ses prunelles d'une lueur homicide.

Ismaël comprit qu'il devait obéir, que Fag-End n'était plus en état de supporter sa présence, qu'il était à nouveau victime d'une de ses crises de démence provoquées par un excès de désespoir.

Il pressa une dernière fois la main du criminel, le bénit silencieusement dans un ultime regard et, sautant légèrement du rocher, s'éloigna à pas lents. Sans être certain de ses suppositions, il soupçonnait que ce rejet n'était pas dirigé contre lui. S'il l'avait été, Fag-End n'aurait pas pris tant de précautions pour lui dire de s'en aller. Le pirate avait admis trop de choses dans ses confidences arrachées à son cœur malade sous la contrainte d'une grande émotion. Qu'il fût furieux de les avoir dites était plausible. Qu'il en voulût à son interlocuteur de les avoir entendues au point de désire l'anéantir se concevait. Et pourtant, dans tout cela, surnageait la conviction que l'amitié était salvatrice, que la compassion dont faisait preuve Ismaël était pour Fag-End une véritable ancre de miséricorde. Il n'en demeurait pas moins que le malheureux, dans toute la complexité de sa détresse, était extrêmement fragile et que son désespoir risquait d'aboutir à un acte fatal. En le quittant, le marin songeait avec tristesse que, malgré la conversation qu'ils venaient d'avoir, la menace du suicide n'avait pas disparu.

Il sursauta en entendant son nom, prononcé par une voix que la distance et le vent assourdissaient. Elle venait du promontoire. Il s'arrêta aussitôt.

Fag-End, debout sur le rocher, se détachait sur le ciel orange et la mer en fusion. Dans quelques secondes, il ferait nuit. Ismaël vit le pirate agiter la main. Signe de rappel ? D'amitié ? D'adieu ?

Il répondit de la même manière, le cœur battant, dévorant d'un regard interrogateur cette silhouette sombre dont il ne discernait plus les traits. Quel message Fag-End voulait-il communiquer ?

L'instant d'après, l'obscurité tomba.

Lorsqu'Ismaël rentra à Liberty-House, ses compagnons avaient fini de dîner depuis longtemps et s'étaient retirés. Il ne restait plus dans le salon que Julian Wilde qui lisait devant le feu avec Almeda en guise de coussin sur les pieds. Le professeur lui adressa un signe amical, la chienne vint se frotter à lui en agitant la queue. Ils échangèrent des banalités mais Ismaël devina que la présence de l'austère quinquagénaire à cette heure tardive n'avait eu que pour seul but de s'assurer que le Gallois était bien rentré, sain et sauf. Naturellement, le digne professeur n'aurait jamais avoué son inquiétude à haute voix. C'était contraire à toute son éducation. Mais le marin ne lui était pas indifférent et il se sentait concerné par sa sécurité, sachant qu'un criminel en liberté rôdait sur l'île, armé et violent. Ismaël fut touché par une prévenance si inhabituelle de la part de cet homme auparavant si distant et si méprisant à son égard. Cela ne l'incita pourtant pas à partager l'événement que constituait sa rencontre avec Fag-End. Ce qui s'était passé relevait de la confidence. S'il voulait être digne de la confiance du pirate et la conserver, il se devait de n'en rien dire.

Julian Wilde se coucha donc sans soupçonner que son compagnon avait eu le privilège de voir celui qu'ils cherchaient tous et qu'il avait même eu une conversation avec lui. Rassuré sur son sort, il dormit parfaitement. Par contre, ce ne fut pas le cas d'Ismaël que la crainte tint éveillé une partie de la nuit. Que s'était-il passé après son départ ? Qu'avait fait Fag-End ? Comment profiter de la sympathie évidente qu'il semblait avoir pour lui ? Comment prolonger le dialogue ?

La matinée qui suivit apporta un début de réponse : Fag-End fit sa réapparition. Ismaël en fut bouleversé. Il avait redouté le pire. Or, après la conversation de la veille, le criminel avait trouvé en lui la force de venir rejoindre le camp des vivants. C'était une démarche capitale, même si elle s'accompagnait toujours d'une évidente volonté de solitude. Fag-End travaillait là où il était sûr de ne devoir parler à personne. Il ne s'asseyait pas à table avec les autres. Il se dérobait à la moindre approche. Nul doute que si le malfaiteur renaissait à l'honnêteté et à la vie en communauté, cela prendrait beaucoup de temps. C'était lui qui donnait le tempo de la progression et celui-ci avait trop souvent des allures de pesante marche funèbre !

Le marin n'était pas au bout de ses surprises. Un matin qu'il était resté à Liberty-House pour faire des conserves, Almeda se précipita vers l'entrée en frétillant joyeusement pour accueillir un visiteur qui devait lui être sympathique. Il ne s'agissait donc pas de Christopher Lawrence. Il s'attendit à voir Fag-End que sa chienne appréciait particulièrement. Sa perspicacité se trouva prise en défaut.

Dans l'embrasure de la porte se tenait la fillette que nul n'avait vue depuis bientôt trois semaines. Elle n'avait rien d'une enfant. C'était une jeune fille dont le visage s'était arrondi grâce à une nourriture plus substantielle. Des vêtements disparates et masculins dissimulaient sa silhouette longiligne. Hélas, une expression de mépris haineux et de défiance craintive enlaidissaient ses traits pourtant plein de fraîcheur juvénile. Au naturel, elle n'était certainement pas une beauté classique, mais elle possédait son charme, dû en grande partie à la forte personnalité et à l'intelligence qui transparaissaient sous le masque de la peur. Ismaël perçut tout cela d'un simple coup d'œil, en mesurant du même coup toute la détresse de cette adolescente seule au milieu d'hommes qu'elle exécrait. Pourquoi, ce jour-là, avait-elle décidé d'affronter au lieu de fuir comme elle le faisait d'ordinaire ? Venait-elle en vengeresse, en pénitente ou en victime ? Elle tremblait. Ses yeux, d'une couleur indéfinie, lançaient des éclairs que l'effroi faisait vaciller en lueurs sinistres.

— Je vous hais ! explosa-t-elle dans un cri rauque.

Almeda, décidemment inconsciente, donnait à la jeune fille de petits coups de tête impérieux, estimant qu'elle ne comprenait pas vite son désir d'avoir des caresses. Ismaël songea à la rappeler, redoutant que toute à sa fureur, l'adolescente hostile ne s'en prenne à l'animal. Mais non. Elle obtempéra enfin, tandis que ses traits perdaient un peu de leur dureté. Quand elle reprit la parole, sa voix était moins agressive.

— Je hais les hommes ! Ce sont des bêtes immondes !

Plein de honte pour les excès de ses semblables, le marin n'osa pas affronter le regard accusateur. Enhardie par cette réaction, la jeune fille poursuivit :

— Vous... je ne sais pas.... Je vous écoute. Je vous observe. J'essaie de vous connaître mieux...

Ismaël se sentit rassuré : de ce côté-là, il était tranquille. Leurs propos à tous visaient toujours à trouver la meilleure solution pour elle comme pour le pirate. Certes, ils s'étaient interrogés pour savoir si elle était membre de l'équipage de la Jane-Mary ou leur prisonnière mais l'incertitude n'avait jamais influé sur le respect qu'ils lui portaient ni sur leurs efforts pour la ramener à des sentiments plus sociaux.

— Vous êtes différents des bêtes de la Jane-Mary. Vous ressemblez à Fag-End.

Le marin eut le souffle coupé à cette réflexion et songea pourtant avec humour à la réaction qu'aurait eue Christopher Lawrence s'il s'était entendu comparer au pirate de si avantageuse manière.

— C'est d'ailleurs à cause de lui que je vous laisse en vie.

De mieux en mieux !

Et comme le Gallois, stupéfait, esquissait un mouvement de surprise, elle ajouta, dédaigneuse :

— Oh, n'en concluez rien. C'est un criminel, une brute sanguinaire, un assassin de la pire espèce. Mais sans lui, je croirais encore que les hommes, tous les hommes ne sont que les animaux, des débauchés obscènes !

Sa voix était redevenue rauque, lourde de sanglots prêts à jaillir.

— Je vous ai entendu vous lamenter parce que je ne voulais pas vivre avec vous. Parce que Fag-End ne voulait pas vivre avec vous non plus. Vous êtes bien naïf si vous n'avez pas compris pourquoi...

La gorge nouée, elle s'arrêta. Des larmes coulaient sur ses joues livides. Ismaël eut un geste instinctif pour la réconforter. D'une détente féline, sans même qu'il l'eût touchée, elle lui balança sa main en travers de la figure.

— Je vous interdis ! glapit-elle. Je vous interdis !

Le coup avait été si violent que la marque était imprimée sur la pommette d'Ismaël. Un peu de sang perla, là où les ongles l'avaient griffé. A cette vue, la fillette parut paniquée et dégrisée. Comme le marin demeurait sans réagir, elle reprit la parole, visiblement déconcerté par sa propre brutalité et la douceur de sa victime.

— Pour ce qui est de Fag-End, n'espérez rien. Vous vous intéressez à cette crapule. Il l'est et il ne l'est pas. Je veux que vous sachiez pourquoi !...

— Je ne vous demande rien !

— Non, rugit la fillette. Rien. Mais c'est le seul moyen que j'ai de lui rendre témoignage ! Cet abject meurtrier a su être, une fois, digne d'appartenir à l'humanité. Il a été le seul de l'équipage de la Jane-Mary à me respecter !

Un incoercible tremblement se mit à la secouer et elle dut faire un effort héroïque pour poursuivre malgré les larmes qui affluaient et sa voix qui flanchait :

— Pour le punir de ce respect qu'il m'accordait alors que je n'étais déjà plus rien, ses complices l'ont... l'ont torturé... oui, torturé... sous mes yeux... et puis, ensuite... ils l'ont violé... comprenez-vous maintenant ?

Eclatant en sanglots déchirants, elle s'enfuit, laissant Ismaël au bord de la nausée.

Incapable de rester dans la cuisine à s'occuper de tâches triviales après avoir entendu l'indicible, le marin abandonna ses fourneaux pour se précipiter vers l'oratoire. Là, sans craindre de regards indiscrets, il pleura d'horreur, d'effroi et de honte. Jamais il n'aurait imaginé que l'on pût descendre si bas dans l'ignominie, dans la turpitude. Certes, il avait soupçonné le calvaire de la jeune fille et qu'elle ne voulût pas frayer avec les hommes lui semblait parfaitement naturel. Par contre, celui de Fag-End le faisait frémir. Dans ses plus folles suppositions, il n'était jamais allé jusque là. Aussi cruelle que pût être pour lui la découverte des plus détestables penchants de la nature humaine, il était reconnaissant à la jeune fille de ne pas l'avoir épargné et de l'avoir jugé digne de partager ce secret. Car c'était pour Fag-End qu'elle avait parlé. C'était pour éclairer d'un jour nouveau son désir farouche de solitude, sa violence, son agressivité, son incapacité à se rapprocher d'hommes qui lui rappelaient ceux qui lui avaient volé son intégrité physique et morale. Comment le malheureux pouvait-il guérir de cette terrible blessure ? Comment ne pas déjà voir dans ses timides efforts de maîtrise de soi, ses rares tentatives de rapprochement, une volonté de s'en sortir ? C'était admirable qu'il n'eût pas tué sur place l'ensemble des îliens pour se venger de l'humiliation subie, pour empêcher qu'elle ne se reproduise ! La violence du pirate n'était plus seulement les soubresauts d'un malfaiteur sevré de crimes ou dépité de se trouver au milieu d'honnêtes gens. C'était la terreur de retomber en enfer.

Ismaël aurait-il été encore capable de prier s'il avait su qu'au moment précis où il implorait son Seigneur de protéger cette âme et ce corps avilis, de l'ouvrir au pardon —et quel pardon, désormais !— se déroulait un nouveau drame à quelques dizaines de mètres de l'oratoire ?

Julian Wilde, à la suite d'une stupide altercation avec Christopher Lawrence, s'était accordé quelques heures de promenade solitaire. Les pensées qui l'assaillaient étaient sombres. Il n'était content ni de lui, ni des autres.

La vue inopinée de Fag-End, recroquevillé au pied d'un arbre, ses maigres épaules déformées de cicatrices et de plaies à peine refermées, ne fut pas pour le réconforter. Il demeura immobile, à distance respectueuse, ne sachant que faire. Il comprit bientôt que, se croyant seul —il devait imaginer tous les îliens accaparés par leurs tâches habituelles— le pirate était plongé aux sombres abîmes du désespoir et qu'il sanglotait. Le professeur douta que pareille chose fût possible, mais il n'y avait pas moyen de se tromper. Fag-End, le redoutable pirate, le monstre sanguinaire pleurait vraiment, ce qui lui conférait une certaine humanité. Contrairement à Ismaël, Julian Wilde ne l'avait jamais vu touché par l'émotion. Il hésita longuement sur la conduite à tenir. D'un côté, son cœur saignait de la douleur du malheureux. De l'autre, il n'oubliait pas l'origine de celui qu'il avait en face de lui et redoutait ses réactions brutales. D'un troisième, il se savait d'une désastreuse maladresse lorsqu'il s'agissait de manifester sa sensibilité. Il ne trouvait pas la parole qui soulage, le mot qui fait du bien, le geste qui réconforte. Au lieu d'améliorer la situation, il l'aggravait. Il était désespérément sec, empoté, stupide. Comme il eût souhaité la présence d'Ismaël dont il enviait soudain la chaleur, l'aisance, le tact, sa capacité à prononcer la phrase qu'il fallait au moment où il le fallait ! Mais le marin n'étant pas là, il en était réduit à ses propres ressources, médiocres, ô combien négligeables, ce qui justifiait son indécision. Il ne s'agissait pas de faire plus de mal que de bien.

Ce fut alors que Fag-End leva la tête. L'instant d'après, il était debout devant le professeur qui, paralysé, n'esquissa aucun mouvement de fuite.

Le pirate ne frappa pas. Il se contenta de présenter à l'importun la vision d'horreur de son visage gris de saleté, marbré de larmes, des ses yeux rouges et bouffis, hurlant d'une intolérable angoisse.

— Satisfait ? gronda-t-il. Vous avez vu ce que vous cherchiez ?

Julian Wilde aurait donné plusieurs années de sa vie pour échapper à ce désolant spectacle. Il lui semblait indécent de le regarder, d'être témoin de ce qui aurait dû rester caché. C'était une profanation. Un viol.

— Mais non, bégaya-t-il, terrifié par l'imminence de la catastrophe. Mais non, ce n'est pas cela. N'ayez pas peur !

Il crut défaillir sur place sous l'extraordinaire flamme haineuse qui jaillit soudain des prunelles du pirate.

— Pas peur ? ricana-t-il avec une déchirante dérision. Pas peur ? Comment cesserai-je un jour d'avoir peur ?

Et sur cette terrible question qui dévoilait un sordide passé, Fag-End tourna des talons, laissant le professeur faible et malheureux. Cette rencontre n'avait pas contribué à rehausser l'image qu'il avait de lui-même comme consolateur des affligés. Il avait réussi le tour de force d'enfoncer davantage le désespéré dans son gouffre morbide.

Au dîner l'atmosphère fut lugubre. Ismaël, prétextant un malaise, ne parut même pas à table. Julian Wilde, que boudait Christopher Lawrence, s'éclipsa dès qu'il le put pour monter à l'oratoire, non pas pour y prier mais parce qu'il espérait secrètement y trouver le marin. Contrairement à son attente, il n'y avait personne. Il regagna donc le rivage qu'il parcourut d'un bout à l'autre d'un pas tour à tour pesant et énervé. La beauté nocturne de ce lieu si paisible le laissait de marbre. Il ne la voyait pas. Il ne l'avait d'ailleurs jamais vue. Et ce n'était pas ce soir là qu'il allait la découvrir, hanté qu'il était par le regard torturé de Fag-End, par son interrogation terrifiante, par le sentiment de sa propre inutilité. Toute son intelligence mathématique ne lui servait à rien en ces circonstances qu'à lui faire une nouvelle fois mesurer ses limites humaines. Depuis l'arrivée du pirate, c'était constamment qu'il y était confronté. S'était-il donc trompé de combat puisque devant la difficulté, il n'avait plus ni sa paix, ni ses certitudes d'antan ? Le signe possédait-il une valeur ?

Almeda surgit d'un fourré, annonçant la présence de son maître qui ne manqua pas d'apparaître à sa suite. Le marin ne chercha pas à éviter le professeur bien qu'il fût visible qu'il ne recherchait guère la compagnie de ses semblables ce soir là. Il avança vers lui. Julian Wilde fut horrifié de voir combien l'anxiété, le chagrin, la souffrance avaient pu rendre méconnaissable son calme visage. Et pourtant, son expression douloureuse demeurait aussi bienveillante qu'à l'accoutumée.

— Seriez-vous souffrant ? s'enquit-il aussitôt, percevant que l'anglais n'était pas dans son état normal.

Julian secoua la tête :

— Pas plus que vous. Vous semblez extrêmement fatigué...

Le marin haussa les épaules d'un geste las et désabusé.

— Je vous avais annoncé des jours difficiles, murmura-t-il. Ils sont là et nous sommes ballottés comme une méchante barque sur un océan démonté.

— Puis-je ajouter à votre fardeau ?

Pressentant une révélation, l'œil d'Ismaël recouvra son habituelle vivacité.

— Je vous écoute.

— J'ai vu Fag-End...

— Quand ? s'écria le marin avec une intensité qui prouvait combien cette information le touchait.

Julian Wilde n'avait pas besoin de longs discours pour narrer l'événement dans sa brièveté tragique. Les deux hommes reprirent lentement le chemin de Liberty-House.

— J'ai tout gâché, soupira le professeur d'un ton désolé. Je me maudis d'avoir été là, d'avoir parlé et précipité ce malheureux dans...

— Non, l'interrompit gravement Ismaël. Tout cela est trop négatif. Nous avons besoin d'autre chose...

— Serait-ce à dire que vous espérez encore ?

— Il le faut !

Julian Wilde le considéra sans cacher son étonnement.

— Vous en parlez comme d'un devoir...

— C'en est un !

— Quoi ? L'espérance est un devoir ?

— Bien sûr !

— Est-ce chrétien ?

Une ombre de sourire flotta sur les lèvres d'Ismaël.

— Ce n'est pas le genre de remarque à laquelle vous vous attendiez, n'est-ce pas ? Oui, pour moi l'espérance est un devoir, particulièrement en ces circonstances pénibles parce que si je ne possède pas profondément cette espérance, je serai incapable de la partager avec Fag-End et la fillette. Or, c'est d'elle dont ils ont besoin pour survivre.

— C'est la foi qui vous procure cette espérance ?

Il était inédit que Julian Wilde, l'athée plutôt sectaire, évoquât de son plein gré le domaine spirituel de son compagnon qui, d'ordinaire, lui arrachait tout au plus une grimace condescendante : la religion n'était pas l'affaire des intellectuels qui se trouvaient bien au-dessus de pareilles bêtises, tout juste bonnes à satisfaire des esprits vulgaires et sans éducation. Ismaël pouvait donc se montrer extrêmement surpris de cette ingérence inhabituelle et sans mépris, ce qui était tout aussi insolite.

— La foi, du moins celle qui est la mienne, n'a jamais empêché le doute, la révolte ou le désespoir...

— A quoi sert-elle donc ? Vous êtes comme moi si, malgré votre foi, vous doutez, vous vous révoltez, vous désespérez !

Le beau regard d'Ismaël se posa sur le professeur, plein d'une amitié sincère. Ce dialogue, inconcevable quelques jours plus tôt, lui permettait de découvrir dans cet homme rigide et glacé un frère aussi vulnérable qu'il l'était lui-même.

— Je suis humain, monsieur Wilde...

— Oui, mais contrairement à moi, vous conservez le courage d'espérer, de vous battre, de vous lancer de titanesques défis. Est-ce au nom de Dieu ?

— De l'amour, en tous cas. Dieu est Amour.

Julian Wilde s'arrêta de marcher.

— Ismaël, quand vous voyez ce que la haine a fait de Fag-End et de la fillette, comment pouvez-vous encore croire à l'amour ? N'est-ce pas une folie ?

Les yeux verts du marin rayonnèrent d'une lumière presque surnaturelle tandis qu'il répondait :

— Si elle n'existait pas, nous n'aurions plus qu'à mourir. Le monde a besoin de fous qui croient que l'Amour est plus fort que la haine, que le pirate sanguinaire peut se régénérer, que l'enfant souillée peut renaître à la pureté, que le combat pour la cause des autres vaut toujours la peine d'être mené.

La voix de Julian Wilde tremblait d'une étrange émotion en faisant remarquer :

— Mais vous, vous avez Dieu pour vous encourager dans cette folie !

Ismaël y sentit comme un soupçon de regret, de reproche, peut-être d'envie. Il réfléchit, le regard perdu au loin dans l'immensité nocturne des flots sombres.

— Oui et non, dit-il lentement. Oui, parce que Dieu nous a montré le chemin de l'Amour en envoyant son Fils comme Rédempteur et que, devant pareil don, on ne peut qu'adorer et suivre. Non, parce qu'environné de haine, d'injustice, de cruauté gratuites, on croit plus difficilement à l'existence d'un Dieu d'Amour. C'est pourquoi le don de soi, l'Amour ne sont pas réservés aux chrétiens. Que serait un monde sans amour ? Ce serait un monde d'absurde et on ne vit pas dans un monde d'absurde...

— Très juste. On survit seulement. J'en sais quelque chose. Oh, c'est une découverte toute récente, dont vous et Fag-End êtes les premiers responsables...

Ismaël se contenta d'un silence interrogateur. Le professeur grimaça ce qui voulait être un sourire.

— Cela faisait cinquante ans que je croyais à un idéal et, depuis deux mois, je m'aperçois que l'idéal auquel j'ai voué ma vie, au point d'échouer sur cette île, est une tragique illusion. J'ai cru que la raison et la logique pouvaient diriger la vie et les hommes. Je découvre qu'il n'en est rien. Mes convictions, mon existence même, sont remises en question par la présence d'un pirate et par la manière dont vous avez réagi à cette présence.

— Je suis désolé...

— Surtout pas, Ismaël, interrompit Julian Wilde en secouant la tête. Pas excuses. Je ne vais pas vous dire qu'il est plaisant d'admettre que sa vie est un échec. C'est même extrêmement difficile pour l'orgueil d'un homme dont on reconnaissait autrefois les exceptionnelles qualités de mathématicien, ce qui n'est pas rien dans une ville comme Oxford. Mais, malgré mes erreurs, j'ai toujours essayé d'être honnête. Je vous le dis aujourd'hui, à cause de vous, je n'ose encore dire « grâce à vous », j'ai perdu mes certitudes. Bien que cela me laisse dans une position inconfortable, je ne le regrette pas. J'ai découvert en vous un être que j'avoue avoir méconnu pendant dix ans. Pour cela, il a fallu l'intrusion, dans l'illusion, d'une réalité que vous n'aviez jamais abandonnée. Notre projet ne vous touchait pas parce qu'il était celui de l'esprit. Celui de Fag-End vous révèle à nous tel que vous êtes. Il ne saurait y avoir de plus grand choc. Il est normal que j'en sois complètement assommé !

Le sourire qui conclut cette longue tirade était cette fois plus détendu. Ismaël, que tant de confidences avaient abasourdi, sourit aussi, tout en songeant à cette admirable aptitude qu'avaient les hommes à se métamorphoser.