Le Maelstrom — Chapitre 4

Ce matin là, quand le garçon apparut sur le pont —il dormait, insigne privilège que personne ne lui contesta— dans la cabine de James Larkin, la houle secouait très durement le Saint-John, et cela malgré l'absence de vent. A l'est, une ligne d'encre barrait le passage aux rayons du soleil. L'atmosphère était oppressante. Emmanuel regarda un moment l'horizon, fixement, le visage tendu, les poings serrés, la respiration suspendue. Puis ses yeux se portèrent sur la mâture et sur les hommes qui vaquaient à leurs occupations sur le pont.

— Smith !

Le jeune homme se retourna vivement. C'était la première fois que le garçon lui adressait la parole de son plein gré, sans être sollicité, qu'il condescendait à le voir. Il craignit un instant une provocation, mais l'expression de son jeune interlocuteur était tout sauf insolente.

— Vous avez vu ?

— Oui. Un grain.

— Non, Smith, contredit Emmanuel d'un ton sûr de lui. Non. Une dépression tropicale. Peut-être un cyclone. Le baromètre chute dangereusement. Dans dix minutes, nous serons dans la tourmente ! Il faut réduire la voilure d'urgence. Et avant de mourir, car je crains le pire, je voudrais voir mes frères !

Ce n'était pas présenté comme une supplication mais comme une volonté inébranlable. Smith dut le comprendre.

— Allez ! Et dites à Jackson de remonter !

Emmanuel sembla apprécier ce laconisme efficace. Un imperceptible sentiment de reconnaissance adoucit l'intensité de ses prunelles. L'instant d'après, il était descendu dans le carré où il fut accueilli par un revolver agité sous son nez.

— Tu n'as pas à venir ici ! beugla le pirate. Dégage !

— Smith vous demande ! répondit sobrement le garçon. Il y a urgence !

Jackson foudroya du regard le visiteur imprévu, puis se dit qu'un événement grave avait dû se produire pour motiver cette venue et l'ordre de Smith. Jusqu'alors, Emmanuel n'avait pas essayé de mentir ou de tricher. Il était peu probable qu'il le fît au bout de quatre jours.

— J'espère que tu dis la vérité, sinon !...

— Je sais. Vous aurez toujours la ressource de me tuer. Mais faites vite !

Vaguement inquiet, Jackson monta sur le pont, laissant Emmanuel dans le carré désert.

Le musicien, après un regard d'envie et de tendresse à son cher piano, se précipita dans sa cabine. Deux hurlements accueillirent son entrée fracassante. Celui de Yannick, terrifié par cette intrusion qui n'augurait rien de bon puis celui de Gwénaël, rauque et joyeux. Tandis que Murali déguerpissait par la porte ouverte, les trois frères s'étreignirent, mêlant leurs larmes et leurs embrassades.

— Oh, Emmanuel ! s'écria le plus jeune. Ils ne t'ont donc pas tué ?

Il avait retrouvé miraculeusement la parole, maintenant qu'il savait que son frère était en vie. Durant tous ses jours d'absence, depuis qu'il avait vu Emmanuel tomber à sa place sous le coup d'Evans, il avait été persuadé de sa mort.

Leurs cris réjouis attirèrent leurs camarades qui manifestèrent à leur tour leur immense joie de le revoir vivant.

— Oui, vivant pour l'instant, grommela-t-il sans pouvoir adoucir le ton de sa voix, malgré ses efforts. Peut-être pas pour longtemps ni vous non plus...

— Si tu n'as que des choses aussi réconfortantes à nous dire, tu pouvais te dispenser de venir ! rugit Dominique en réponse.

Emmanuel le foudroya du regard.

— Ce ne sont pas les pirates en cause, reprit-il en s'obligeant au calme à cause des autres garçons. C'est le temps. Nous allons essuyer une terrible tempête. C'est ce que je suis venu vous dire. Enfermez-vous. Restez dans vos cabines. Vous allez être durement secoués. Je vous souhaite bon courage !

— Que vas-tu faire ? demanda Yannick en le voyant prêt à tourner des talons.

— Je remonte sur le pont. J'y suis utile !

— Moi aussi, je viens ! s'écria Yannick aussitôt.

— Non !

Le ton d'Emmanuel était sans réplique.

— Tu restes ici, auprès de Gwénaël ! Tu ne servirais à rien là haut !

— Et toi, vertueuse personne, tu sers beaucoup, comme d'habitude ! plaça Dominique d'un ton sarcastique.

— Ce n'est pas comme toi ! rétorqua vivement Maximilien qui n'attendait que l'occasion d'en découdre avec son camarade.

— Jamais je ne consentirais à être le larbin de ces crapules !

L'insulte était grave. Mais l'heure l'était aussi. Emmanuel sut le mesurer et contrairement à ce qu'attendaient les garçons, il ne sauta pas à la gorge de son provocateur. Il esquissa même un sourire.

— Ma lâcheté naturelle n'a pas tes scrupules, mon cher !

Et sur cette perfidie dont personne ne fut dupe, Emmanuel disparut prestement, soulagé de mettre entre lui et son ennemi une saine distance de sécurité. La compagnie des pirates était presque plus agréable que la fréquentation de cet odieux personnage.

Dominique ne tira aucun bénéfice de sa méchanceté. Ses camarades qui le détestaient cordialement et le supportaient de moins en moins le contraignirent à regagner sa cabine dans laquelle il vivait désormais seul. Gwénaël partageait celle de Yannick et Maximilien l'avait remplacé dans celle de Luigi.

Les six garçons, après le départ de Dominique, se considérèrent gravement. L'apparition si brève du musicien les avait impressionnés. Ils avaient à peine reconnu celui qui, quelques jours plus tôt, se montrait un enfant en pleine santé et parfois un convive facétieux. Emmanuel, si différent d'eux par les comportements et la maturité, avait franchi une nouvelle étape. Il semblait avoir quitté à tout jamais le monde de l'enfance pour entrer totalement dans celui des adultes, avec les responsabilités inhérentes à cette nouvelle appartenance. Que se passait-il donc sur le pont depuis quatre jours pour le transformer à ce point ?

Maximilien poussa un juron sonore, lui qui avait la réputation d'être le mieux élevé du groupe. Ses parents auraient certainement trouvé que la fréquentation du milieu maritime ne valait rien pour son éducation !

— Que t'arrive-t-il ? demanda Morgan, choqué par ce langage auquel le jeune noble ne l'avait pas habitué.

Le vicomte, qui avait l'air fort mal en point en raison du constant mal de mer qui l'éprouvait, gronda d'une voix faible mais qui se voulait farouche :

— Il est le seul à lutter ! Ah ! Si j'étais mieux !

Le voilier, comme pour se moquer de ce vœu pieux fit une terrible embardée, renversant tous les prisonniers les uns sur les autres. La tempête annoncée par Emmanuel quelques minutes plus tôt n'était visiblement pas un vain mot. Avec bien du mal, ils essayèrent de se remettre debout. Peine perdue ! Le sol se dérobait sous leurs pieds. Les plus jeunes se mirent à crier d'effroi.

— Dans les cabines ! Dans les cabines ! cria Yannick.

En rampant, les garçons les regagnèrent péniblement. Maximilien produisait déjà des bruits qui laissaient supposer qu'on ne le verrait pas de sitôt. Luigi ne tarda pas à l'imiter. Les portes se refermèrent sur des occupants en piteux état et terrifiés.

— Emmanuel va mourir ! sanglota Gwénaël qui, comme Yannick, résistait bien au mal de mer, héritage de leurs nombreuses virées dans la baie de Sydney par tous les temps. Il ne peut s'en sortir ! C'est affreux ! Oh, Yann, pourquoi sommes nous si malheureux ?

— Je ne sais pas, petit frère, répondit gentiment l'aîné des Le Quellec, obligé de parler fort pour se faire entendre par-dessus le fracas des éléments déchaînés. Je ne sais pas. Il faut prier. Nous ne pouvons rien faire d'autre !

— Je ne veux pas prier ! Pour prier, il faut un Dieu ! Or Dieu n'existe pas ! Il ne peut pas exister ! Sinon, il ne tolérerait pas tout cela ! Oh, maman ! Je veux revoir papa et maman !

Une embardée le jeta à bas de sa couchette. Maté par l'épouvante d'une catastrophe qu'il estimait imminente, Gwénaël se calma brusquement. Il se recoucha sans un mot et sombra dans une morne torpeur, résigné au naufrage, à la mort, au néant. Yannick, impuissant devant la détresse de son cadet, fut encore plus bouleversé par son silence que par sa révolte. Lui aussi anticipait l'échéance fatale, mais au moins, il se réfugiait dans les bras de Dieu.

L'attaque des éléments en furie avait été fulgurante. Le petit bâtiment se sortit pourtant indemne de ce choc initial. Ce n'était pas le cas de son équipage. Trois hommes manquaient à l'appel : Evans, Joyce et Jackson. Ceux qui avaient dédaigné la recommandation de Smith de s'attacher. Ils avaient donc été emportés par la lame qui avait balayé le pont d'avant en arrière. Les autres avaient survécu, contusionnés mais indemnes.

Le Saint-John, sous foc et tourmentin, tenait la cape, seule allure qui convenait aux circonstances. Les marins survivants n'avaient qu'une ambition, éviter que le ketch ne se mette en travers. Il n'y avait rien d'autre à faire. Dans ces circonstances, l'issue la plus probable était le naufrage, soit en pleine mer sous la force d'une vague qui ferait chavirer le voilier, soit drossé sur des récifs invisibles puisqu'il était impossible de savoir quel cap était suivi. Burton, Smith et Stuart ne se faisaient aucune illusion. Il s'agissait avant tout de sauver leur peau, accessoirement celle des prisonniers, mais ce qui les jetait avant tout dans la bataille était un réflexe primaire de survie. Pour Emmanuel, c'était différent. Il se refusait au fatalisme. D'abord parce qu'il était toujours beaucoup plus prêt à affronter l'adversité que des tourments intérieurs. Et il se sentait investi d'une triple mission : sauver ses camarades et ses frères, sauver son bâtiment et ensuite sauver Ismaël. Il se battrait donc envers et contre tout. Aussi son regard brillait-il d'une détermination inébranlable, hargneuse qui surprenait les trois pirates qui le côtoyaient.

La nuit fut terrible. L'océan, sinistre, se montrait dans toute sa fureur à la lueur d'éclairs livides. La pluie torrentielle, ajoutée aux lames et au fracas environnant, avait sur les êtres un effet particulièrement néfaste. Les timoniers, toujours par deux à ce poste vital, n'en pouvaient plus. Chaque relève devenait plus difficile. Ils se réveillaient à peine, accrochés au sommeil qui leur permettait d'oublier pour quelques minutes. Ils avalaient un biscuit amolli d'eau salé, nourriture bien insuffisante pour entretenir leurs forces et leur énergie. Les heures passèrent. Une nouvelle journée s'écoula.

Le bruit du ressac leur parvint comme dans un brouillard. Eussent-ils été en nombre, ils n'auraient pu maîtriser le bâtiment qui, avalé par un courant violent, ne répondait plus à la barre. Ils n'eurent même pas le temps d'avoir peur. Le Saint-John se souleva sur le dos d'une vague monstrueuse, en redescendit comme une flèche et talonna. Le choc fut rude. Les deux mâts cassèrent net. Entraîné par le poids, le voilier se coucha légèrement à tribord puis s'immobilisa.

Aucun des pirates n'entendit les hurlements d'épouvante qui parvenaient de l'arrière : ils avaient tous été projetés à la mer, n'étant attachés ni les uns ni les autres. Les enfants, terrifiés, réagirent à la situation nouvelle selon leur tempérament. Il était évident qu'ils avaient fait naufrage. L'immobilité du bâtiment le prouvait après les secousses des dernières heures. Qui disait naufrage disait côte et un semblant de sécurité. Il fallait donc évacuer au plus vite.

C'est ce que pensa Dominique qui fut le premier sur le pont. Les lames qui continuaient de le balayer le renversèrent et le roulèrent jusqu'à avant, aux pieds même d'Owen qui avait jugé l'événement suffisamment insolite pour sortir de sa torpeur. Morgan et Luigi, qui le suivaient de près, connurent le même sort. Owen regarda autour de lui, vit la mer toujours démontée, les visages blafards des autres prisonniers que la mésaventure de leurs compagnons avait refroidis, considéra une dernière fois l'état du ciel et poussa les trois garçons dans le poste d'équipage dont il referma le panneau.

Yannick et Maximilien s'apprêtèrent à rejoindre Michael et Gwénaël. Ils en savaient assez pour préférer ne pas bouger. Tout plutôt que de se trouver dans les pattes d'Owen. Ce fut au moment où ils allaient refermer le panneau qu'ils entendirent un appel au secours éloigné mais distinct.

Ils remirent la tête dehors et scrutèrent la grisaille environnant. On y voyait de moins en moins. La nuit allait tomber à nouveau.

— Là, là ! fit Maximilien en pointant un doigt tremblant vers le bastingage au-dessus duquel une tête apparaissait régulièrement, soulevée par la houle.

— Burton ! murmura Yannick d'une voix étouffée.

Jusqu'alors, il ne s'était même pas posé la question de savoir si son frère était encore en vie. La vue du pirate lui rappela que le Saint-John avait un équipage et que son frère y appartenait. Où était-il ? Où étaient-ils tous ?

— Il faut le sauver !

— Certainement pas ! répliqua Maximilien. Je ne vais pas risquer ma peau pour sauver celle d'un sale pirate !

— Il faut savoir ! Pour Emmanuel !

Burton appela à nouveau. Il avait vu les enfants et deviné que ceux-ci hésitaient.

— Non, n'y va pas ! C'est un piège ! s'écria le vicomte en retenant son ami par le bras.

— Si ! On ne peut le laisser mourir sous nos yeux !

— On ne peut rien !

Yannick se dégagea. C'était peut-être imprudent, mais il s'en voudrait toute sa vie s'il n'allait pas au secours d'un homme en danger de se noyer devant lui. Il lui semblait qu'à chaque lame, Burton mettait plus de temps à revenir à la surface.

Avec précaution, l'aîné des Le Quellec s'aventura sur le pont glissant et incliné et atteignit le plat-bord. Il comprit alors pourquoi Burton ne pouvait se sauver par ses propres moyens. Il était pris dans les divers éléments du gréement.

— Un couteau ! cria Yannick à l'adresse de Maximilien resté prudemment en retrait, mais pas trop loin cependant pour le cas où il aurait dû venir en aide à son compatriote. Vite ! Bouge-toi !

Cet ordre vainquit les dernières hésitations du garçon qui disparut un moment pour revenir avec l'objet demandé.

Quelques minutes plus tard, les deux français hissaient laborieusement sur le pont un pirate épuisé et à demi noyé. Ils étaient presque aussi trempés que lui.

— Owen est à l'avant !

Le marin eut un haut-le-cœur à cette remarque de Maximilien.

— Ah ! Le salaud ! C'est pas lui qui serait venu à mon secours ! Il a pourtant bien vu ! Non, il préfère se garder des otages !

Il se remit péniblement sur ses jambes, retira sa veste et sa chemise pour les essorer le mieux possible avant de les remettre sur le dos. Il fit de même avec son pantalon.

— Le vent a l'air de tomber. C'est bon signe...

— Devons-nous évacuer ? demanda Maximilien.

— Petit, tu as vu l'état de la mer ?

Vexé d'être traité comme un enfant par ce pirate, le jeune noble voulut protester.

— Mais...

— Sois sans crainte ! interrompit Burton. Le Saint-John ne bougera plus. Plus jamais. Nous sommes beaucoup plus en sécurité ici. Nous ne voyons même pas la terre et il va faire nuit noire dans quelques minutes !

— Et mon frère, intervint Yannick, où est-il ?

Burton le regarda gravement. Yannick eut peur de cette physionomie habituellement farouche, rendue encore plus cruelle par l'intense fatigue qui creusait ses traits, par le sel qui faisait grisonner ses sourcils et ses cheveux. Il ne put comprendre que ces yeux à l'éclat coupant exprimaient un terrible aveu d'impuissance et non une méchanceté viscérale. Terrifié, il baissa la tête en pleurant. Le pirate eut alors un geste inattendu : il posa sa main sur son épaule.

— Je voudrais te le dire, mais je ne le sais pas. Il était sur le pont avant le naufrage puisqu'il était au gouvernail avec moi. C'est tout. Depuis, rien. Je suis désolé. Allons, rentrons. J'ai faim !

Yannick, stupéfait de la familiarité de l'homme à son égard et de ce qui, chez lui, pouvait passer pour de la douceur, ne trouva rien à répondre. Son frère était-il mort ou vivant ? Avait-il été jeté à la côte ? Avait-il été pris dans le gréement, comme Burton, et s'était-il noyé ? Comment le savoir ?

Gwénaël et Michael se figèrent d'effroi en voyant entrer Burton en compagnie de Maximilien et de Yannick. Leur calvaire allait-il recommencer malgré le naufrage ? Mais il y avait plus urgent qu'à se lamenter.

— Où est Emmanuel ? demanda le benjamin des Le Quellec en s'adressant plus précisément à son frère.

Yannick, défait, désespéré, n'eut même pas le courage de répondre. Il se laissa tomber sur la banquette et continua de pleurer à petits sanglots. Gwénaël serra les dents, puis répéta sa question, cette fois en se tournant vers Maximilien.

— Je veux savoir, ajouta-t-il avec une fermeté surprenante chez un enfant aussi jeune. Quand est-il mort ? Qui l'a tué ?

Maximilien eut un geste de totale ignorance. Burton prit la parole, sans éviter le regard durci de peur du petit garçon.

— Il a été emporté par une lame, au moment du naufrage, de même que Smith et Stuart.

Gwénaël se retourna vers Yannick, l'œil sec.

— Je te l'avais bien dit et tu ne m'as pas cru ! Dieu n'existe pas !

Maximilien et Michael, choqués par le blasphème, pâlirent sans oser protester. Yannick courba les épaules encore un peu plus. Burton s'assit à son tour.

— On peut voir les choses ainsi. Pour moi, le fait d'être vivant est plutôt une preuve de l'existence de Dieu !

Gwénaël n'avait besoin que de cette étincelle pour exploser.

— Vous, un sale pirate ! aboya-t-il avec haine. Pourquoi vivez-vous ? Pourquoi Dieu vous aurait-il préféré à mon frère ? C'est inhumain ! C'est indécent ! C'est monstrueux !

— Injuste, je l'admets sans hésitation, rétorqua l'homme en considérant avec pitié le malheureux garçon qui se révoltait devant la perversité de la destinée. Mais c'est peut-être pour me donner l'occasion de me repentir et de me rapprocher de Lui...

Il n'y eut que Maximilien pour être frappé par ces paroles inattendues. Michael, depuis le naufrage, ne parvenait pas à contrôler un tremblement nerveux et ne comprenait rien de ce qui se passait. Quant aux deux Le Quellec, chacun à leur manière, ils dérivaient dans un gouffre de chagrin et de révolte.

— Résumons-nous, Burton ! dit le vicomte dans un sursaut de dignité qui lui ordonnait de se montrer à la hauteur des événements. Quelle est notre situation actuelle ? Que devons-nous faire ?

— Ah, du concret ! C'est bien ! Pour commencer, donnez-moi donc quelque chose à manger, cela me fera du bien. A vous aussi, d'ailleurs ! Si, je vous assure, on résiste bien mieux l'estomac plein !

Maximilien dénicha un reste de jambon sec et des gâteaux que le pirate avala sans se faire prier, en homme qui n'a rien eu de consistant à se mettre sous la dent depuis de longues heures.

— Ouf, cela fait vraiment du bien. Maintenant, passons à l'évaluation de la situation... Nous avons fait naufrage sur une côte habitée ou non. Il fait nuit. Il est hors de question de songer à débarquer. Nous sommes à l'abri ici. Il faut donc dormir. Je ne sais pas vous, mais moi, j'en ai un sacré besoin. Demain, au jour, nous aviserons !

— Mais...

— Oui ?

— Les otages...

— Avec Owen, oui... Je ne crois pas que nous puissions faire grand-chose... Il va faire comme nous, attendre que la tempête se calme. Il n'a pas trop le choix non plus.

— Mes camarades ne sont pas en danger ?

— Certainement pas pour l'instant, soyez sans crainte.

— Et vos... autres complices ?... Maximilien se hasarda à demander.

— A part Owen qui est plus un ennemi qu'un complice, je crois bien être le seul survivant.

— Seul ? répéta le jeune noble avec une intonation indéfinissable où se mêlait la stupéfaction, la terreur et la joie.

— Oui, Smith et Evans ont dû connaître le sort d'Emmanuel et les autres...

— Oui, les autres ?

— Ils ont disparu dès le début de la tempête !

— Vous... ils... vous avez navigué à quatre seulement ? bégaya le garçon qui découvrait qu'ils avaient tous vraiment frôlé la mort sans le savoir.

— Un cauchemar. Vous comprenez maintenant pourquoi je suis si fatigué. Vous non plus, vous n'avez pas dû dormir beaucoup. Allez-vous vous reposer. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je reste ici, au pied de l'échelle. Comme cela, Owen me réveillera s'il lui prenait la fantaisie de faire une descente, ce que je crois hautement improbable.

— Merci, bafouilla Maximilien, reconnaissant pour la protection du pirate.

Il eut une brève pensée pour son père et sa mère. Que diraient-ils s'ils savaient que leur fils bien aimé, élevé dans l'honneur de ses ancêtres irréprochables, s'en remettait à un pirate pour sa sécurité ? Et quel pirate ! Burton avait une tête franchement patibulaire quoique, en y regardant de plus près, on aurait pu y trouver des traces d'humanité dont d'autres étaient dépourvus. Incapable de réfléchir davantage à l'étrangeté de la situation, Maximilien regagna sa cabine, non sans donner à Burton une couverture dans laquelle il s'enveloppa. Quelques instants plus tard, un puissant ronflement fit concurrence au bruit des vagues qui s'écrasaient sur la carcasse du Saint-John.

Lorsque Yannick et Gwénaël s'étaient couchés, ils n'avaient jamais imaginé trouver le sommeil tant leur cœur était pesant d'un affreux chagrin : leur frère était mort. A vrai dire, ils ne comprenaient pas trop ce qu'ils éprouvaient au milieu de cette souffrance qui les dépassait. C'était la toute première fois qu'ils étaient confrontés à ce mystère, en enfants privilégiés qu'ils avaient été. Ils n'avaient même jamais enterré d'oiseau, de chat ou de chien. Emmanuel mort... Qu'est-ce que cela signifiait vraiment dans leur quotidien ? Comment vivraient-ils cette absence ? Comment annonceraient-ils ce drame à leurs parents ? Si Emmanuel était mort, qu'était-il devenu ? Avait-il souffert en mourant ? Où était-il maintenant ? Qu'allait-il lui arriver ? Changeait-on beaucoup quand on était mort ? Qu'y avait-il dans l'au-delà ? Assaillis par ces multiples questions, incapables d'y répondre, se sentant devant un gouffre susceptible de les aspirer, ils choisirent la fuite dans le sommeil, là où ils pourraient oublier le vertige qui les saisissait.

Comme leurs camarades, ils dormirent longtemps. Ce fut un grand calme inhabituel qui les réveilla. Le vent était tombé, les vagues ne battaient plus la coque avec violence. Par le hublot, le soleil pénétrait à flot. Ils purent apercevoir la côte à environ une encablure, une frondaison de cocotiers aux troncs graciles, une eau turquoise, bref, un paysage de rêve. Hélas, ce qui ressemblait à un paradis risquait d'être un enfer si la côte était inhabitée, si elle était peuplée de sauvages sanguinaires, si elle appartenait à une île et non à un continent. Et le souvenir leur revint : en plus de toutes ces éventualités dramatiques, il y avait la mort d'Emmanuel, la présence d'Owen avec ses trois otages, celle de Burton... Décidemment, songea Yannick, ils auraient mieux fait de continuer à dormir.

L'agitation dans la cabine d'à côté les sortit de leur torpeur. Avec Maximilien et Michael, ils grimpèrent sur le pont où ils trouvèrent Burton qui les salua d'un air soucieux. Le Saint-John reposait dans un berceau de sable dans une eau d'une extrême pureté qui laissait voir une multitude de poissons de couleurs éclatantes. A tribord, c'était le large, bordé par une frange écumeuse trahissant la présence de récifs coralliens sur lesquels la mer, encore agitée se fracassait. A bâbord, se déroulait la terre, une haute montagne qui dominait la baie de toute sa majesté, une bande arborée, sérieusement mise à mal par l'ouragan qui y avait fait des coupes sombres et une frange côtière de sable d'un blanc lumineux. Les regards des cinq garçons et de l'adulte avaient embrassé d'un simple coup d'œil ce spectacle pour s'arrêter sur ce qui ressemblait à des corps gisant sur la plage. Des corps ? Inanimés ? Morts ?

Il fallait le savoir. Yannick sauta à l'eau, suivi de Gwénaël, et nagea vigoureusement. Burton, Maximilien et Michael grimacèrent : ni les uns, ni les autres n'étaient très familiers de l'élément liquide. Mais il fallait dépasser sa peur et faire semblant de ne pas en éprouver afin de ne pas se ridiculiser au regard des autres. Maximilien partit le premier. Burton aida Michael à descendre et comme il avait presque pied l'encouragea dans sa progression.

— Emmanuel ! Emmanuel !

A cet appel de Yannick alors qu'il était encore en train de nager, un des corps étendus remua doucement et se redressa. Il fut alors possible de voir qu'il s'agissait de Smith. Le jeune homme agita la main en réponse puis regarda autour de lui. Un peu maladroitement, il se releva et se dirigea vers un autre des corps qui n'avait pas bougé, le tâta puis le secoua avec une certaine énergie. Les deux frères Le Quellec s'étaient immobilisés, anxieux, comprenant qu'il y avait peut-être un espoir et n'osant le briser en approchant trop vite. Leur cœur battait à se rompre et les jambes leur paraissaient comme du coton.

Au bout d'un temps qui leur parut une éternité, le corps mince et nerveux manifesta un signe de vie. Il se tordit dans un copieux étirement.

Les deux frères poussèrent un hurlement de joie. Quelques instants plus tard, ils étreignaient dans leurs bras cet Emmanuel qu'ils avaient bien cru ne jamais revoir vivant.

Ils n'eurent pas le temps de profiter de leur bonheur. Des vociférations toutes proches les confrontèrent à la réalité et à un personnage qu'ils auraient aimé oublier. Owen avait surgi de nulle part et était penché sur le troisième corps à quelque distance. A ses côtés se trouvait Dominique Williams. Plus loin, au milieu des cocotiers brisés et arrachés se tenaient Luigi et Norman, couple disparate, à ce moment uni par une expérience commune. Ils étaient quasiment méconnaissables, comme s'ils avaient vécu des choses horribles.

— Regardez cela ! hurlait Owen en désignant Stuart. Il a été assassiné !

Certains se rapprochèrent prudemment, Burton en tête. Norman et Luigi ne bougèrent pas. Michael, plutôt que de considérer un cadavre, préféra les rejoindre. Les trois garçons ne tardèrent pas à disparaître sous les feuillages.

— Ce n'est pas un assassinat cela ?

Stuart était étendu sur le ventre, le manche d'un coutelas planté entre les omoplates. Qui avait fait le coup ? Burton regretta d'avoir dormi si profondément. Que s'était-il passé durant la nuit ? Qu'est-ce qu'Owen avait manigancé ?

— Le Quellec ! C'est toi !

L'accusation pétrifia les garçons ainsi que Burton et Smith. Comment était-ce possible ? Pourquoi aurait-il commis un crime pareil ? Ce n'était pourtant pas dans sa nature de tuer quelqu'un de sang-froid !

Burton était un homme d'action. Il retira brusquement le couteau avant de retourner le cadavre qui était extrêmement rigide. La mort devait remonter à une douzaine d'heures. Et quelque chose disait à l'homme que son compagnon était mort de noyade au moment du naufrage. Que signifiait cette mise en scène macabre ? Il regarda avec attention l'arme du « crime ». Elle portait une marque qu'il connaissait.

— Oui, dit Owen, en réponse à l'évolution de ses pensées, c'est son coutelas.

Instinctivement, Emmanuel porta la main à sa ceinture. Le couteau dont, en bon marin, il n'était jamais dépourvu, n'y était plus. Tout son sang reflua vers le cœur.

— Pourquoi chercher d'autres preuves ? Je l'ai vu !

Cette intervention projeta tous les assistants encore un peu plus dans un cauchemar épouvantable. Emmanuel, lui, connut un moment de vide total. Etait-ce bien Dominique Williams qui venait de prononcer ces mots et qui pour être sûr que le message soit bien passé, les répétait à nouveau ?

— Tu mens ! explosa Burton, outré et le premier à réagir contre cet ensorcellement qui les paralysait tous. Tu mens ! Stuart était mort avant d'être rejeté sur cette terre ! Tout ceci n'est qu'une ignoble comédie !

— Il n'empêche que j'ai bel et bien vu Emmanuel Le Quellec le frapper de son coutelas ! insista Dominique avec assurance et en adressant un regard mauvais au musicien.

Que dire contre cela ? Smith, comme Burton, savait que l'aîné des passagers mentait outrageusement. Prévoyant le pire, il fit comprendre aux trois garçons encore présents qu'il était préférable de se cacher avec les autres. Maximilien saisit le premier la sagesse de cette suggestion et entraîna ses deux compatriotes avec lui. Yannick et Gwénaël auraient bien résisté, mais l'accusation de Dominique les avait vidés de toute leur énergie. Ils se souvenaient des paroles de leur frère qui redoutait une vengeance tardive. Il semblait bien qu'elle fût arrivée.

La situation était grave. Deux contre trois. Trois contre deux. Mais l'intéressé n'avait même pas parlé pour se défendre. Il semblait assommé par le choc. Etait-ce signe d'innocence ou de culpabilité ? Burton et Smith étaient convaincus qu'il s'agissait d'une machination programmée par Owen assisté de Dominique dont ils connaissaient la mauvaise réputation et qui les avait déjà dégoûtés en buvant avec le gros pirate.

— Aviez-vous besoin d'un prétexte pour me tuer, Owen ? demanda enfin Emmanuel qui, lentement, avec l'imminence du danger, retrouvait sa vivacité et ses qualités de courage.

— Non, Owen ! Tu ne tueras pas cet enfant ! s'écria aussitôt Burton, effaré par l'expression maléfique de ce visage balafré.

— Voudrais-tu donc m'en empêcher ? Deviendrais-tu vertueux, monsieur l'assassin ? Essaye donc un peu ! Comment vas-tu le sauver ce chérubin qui t'a tourné l'esprit ?

Owen le tenait en joue avec un revolver. Burton se détendit comme un ressort, déviant le bras meurtrier au moment où le coup partait. Le gros pirate, le poignet étreint par une main de fer, lâcha son arme avec une grimace de haine et de douleur et, déséquilibré par l'assaut de son ancien acolyte, tomba à terre. Voyant que les choses risquaient de mal tourner pour son nouvel ami, Dominique, jusque là spectateur immobile, sortit une arme de sa poche et tira à bout portant sur Burton qui s'affaissa sur l'ennemi qu'il tentait d'étrangler à mains nues, n'ayant rien d'autre à sa disposition.

Pendant ce temps, Emmanuel et Smith n'étaient pas restés inactifs. Le premier s'empara du revolver tombé pour constater avec rage que le mécanisme s'était enrayé. Le second prit Dominique à revers. Le garçon tira une deuxième fois. Pour éviter la balle, Smith fit un faux mouvement et tomba avec un cri d'effroi. Emmanuel qui s'apprêtait à lancer son revolver sur Owen en train de se dégager du corps de Burton changea brusquement de cible en voyant son camarade mettre le jeune homme en joue. L'arme, redoutable et précise, lancée à toute volée, frappa Dominique en pleine tête. Smith profita de la chute de son agresseur pour se saisir de l'arme qu'il avait laissé échapper.

— Tire si tu l'oses ! hurla Owen comme Smith pointait son arme sur lui.

Muet d'horreur, pétrifié, Smith ne bougea pas. Emmanuel se trouvait entre les pattes d'Owen, protégeant de son corps celui de son ennemi. Plus terrible encore, les énormes mains de l'infâme étaient posées sur le cou d'oiseau, prêtes à le rompre à la moindre menace. A voir le visage décomposé du garçon, celui-ci sentait que sa dernière heure était venue. Smith, à cette vue, baissa lentement son bras.

Owen se mit à rire, ce qui rendait plus grotesque encore ce visage hideux. Smith, révolté, songeait qu'une fois de plus, son mauvais génie le tenait en son pouvoir et cela malgré toutes ses bonnes résolutions. Sa moindre tentative de rébellion se solderait par la mort de celui qu'il voulait sauver. Il était tout aussi prisonnier que l'était Emmanuel. Et dans sa perversité, le pirate exercerait sur eux un abject chantage. L'un et l'autre céderaient pour ne pas avoir de mort sur la conscience.

— Ah ! Ah ! Je vous tiens, mes agneaux ! Vous m'obéirez parce que je suis le plus fort ! Je vous tuerai tous jusqu'au dernier, mais pas sans que vous ayez servi mes projets ! Smith, pour me prouver ta soumission, viens m'apporter gentiment ce revolver dont tu n'as pas besoin puisque tu ne peux t'en servir !

Le jeune homme, indécis, regardait alternativement Emmanuel, si fragile, si jeune et Owen qui jouissait déjà de son éclatante victoire. Il fit deux pas vers le pirate.

— Non Smith ! hurla Emmanuel en se tortillant de manière si imprévue qu'Owen, surpris par cette résistance inopinée, fut obligé de concentrer son attention sur le garçon au lieu de son compagnon. Ne le donnez pas !

Cette manœuvre de diversion porta ses fruits. Smith sut en profiter. En une fraction de seconde, il avait plongé dans les hautes herbes et s'était soustrait à la vue de son ennemi mortel. De là, aplati sous les branchages, il put voir la conséquence de l'acte héroïque d'Emmanuel : Owen, furieux, lui asséna un coup terrible qui lui tira un hurlement de douleur et s'acheva dans un gémissement. Puis, le gros pirate, ne voulant pas rester la cible de Smith, chargea sur son épaule le corps de son otage, comme il l'aurait fait d'un vulgaire sac de son.

— Ma vengeance vous atteindra tous, jusqu'au dernier ! Je vous exterminerai !

Smith le vit alors se diriger vers l'intérieur des terres d'un pas déterminé. Où allait-il ? Pour quels noirs desseins ? Le jeune homme qui ne savait pas prier se surprit à adresser à une puissance inconnue mais supérieure un cri de désespoir, une supplication d'aide, un appel au secours. Il était démuni. Et tellement seul. Burton était-il mort ? Et les enfants, où étaient-ils ? Qu'avaient-ils vu ? Il fallait parer au plus pressé, rejoindre le Saint-John, en faire un camp retranché, essayer de se préparer à une attaque, bref, unir leurs forces contre un ennemi commun afin de sauver la vie d'Emmanuel.

Smith rampa donc jusqu'au groupe des garçons distant d'une cinquantaine de mètres. L'hostilité et la peur qui l'accueillirent lui rappelèrent cruellement qu'il n'était, aux yeux de ces enfants qu'un complice d'Owen, de Stuart et de Burton, donc un ennemi. Comment avait-il pu imaginer autre chose ? Il était toujours aussi naïf ! Qui pouvait soupçonner que pour la sécurité d'Emmanuel, il donnerait joyeusement sa vie ?

De fait, il se retrouva brusquement projeté sur le sol, tandis qu'il entendait une voix crier :

— Venez, les gars ! Qu'on lui règle son compte ! Cela en fera un de moins !

Smith n'était pas homme à se laisser assassiner sans opposer la moindre résistance. Car il n'avait plus qu'un but dans sa vie : vivre, justement, pour que sa vie serve à sauver celle d'Emmanuel.

— Non ! protesta-t-il en se défendant des coups que lui portait le vicomte. Il faut aller sur le Saint-John ! Vite !

— Pas avant de t'avoir tué, crapule !

— Arrête, Maximilien ! ordonna une voix claire, très enfantine, mais très autoritaire. Ne tue pas Smith ! Emmanuel ne le voudrait pas !

Ce renfort inattendu venait de Gwénaël qui s'interposait entre son compatriote et le pirate. Abasourdi, Maximilien de Hautefort n'acheva pas son geste brutal. Smith se releva prestement.

— Remettez votre justice à plus tard, monsieur de Hautefort. Il y a d'autres urgences que me tuer !

— Oui, approuva Yannick d'un ton ferme. Vous avez raison ! Replions-nous sur le Saint-John pour discuter. C'est indispensable.

Maximilien était en minorité. Les deux Le Quellec avaient pris fait et cause pour le pirate. Les autres s'abstenaient de prendre parti : ils étaient dépassés par les événements qui venaient de se succéder, le combat meurtrier, la disparition, peut-être la mort d'Emmanuel, le retour de Smith parmi eux... Ils préféraient de beaucoup regagner le petit voilier. Ils s'y sentiraient plus en sécurité que sur cette terre souillée de la présence d'un criminel. De là, au moins, ils pourraient voir venir l'ennemi.