Le Maelstrom — Chapitre 12

Il fallut attendre de longues minutes avant que le grand salon ne revienne peu à peu dans un état proche de la normale. Un vent de folie collective, de joie enivrante avait bouleversé tous ceux qui s'y trouvaient réunis. Les larmes coulaient au milieu de rires nerveux et d'exclamations hystériques. Plus personne n'était totalement lui-même. Les habituelles convenances n'avaient plus cours. Ce fut ainsi que Joséphine fut serrée dans les bras de Taylor qui déposa de gros baisers sur ses joues rondes, que Fabian Smith tomba dans ceux de l'ingénieur, que Marie sanglota sur l'épaule de Mazhev, que James Larkin fit tournoyer Yannick comme s'il n'avait été qu'un tout petit. On s'embrassait, on s'étreignait, on s'apostrophait sans savoir à qui on s'adressait, pris que chacun était dans le tourbillon frénétique d'un bonheur immense qui exigeait d'être partagé.

Petit à petit, le calme revint. Marie Le Quellec, épuisée par tant d'émotion et d'intense activité après le gros choc qui l'avait maintenue évanouie pendant un bon quart d'heure, reposait sur le canapé, ses garçons serrés auprès d'elle. Le silence se fit brusquement. Désormais les dix personnes présentes dans la pièce prenaient le temps de se regarder et de se voir. Et ce qu'elles voyaient les incitaient plus à une réflexion silencieuse qu'à des exclamations enthousiastes. Car elles découvraient qu'elles ne reconnaissaient plus du tout ceux et celles qu'ils venaient de retrouver.

Yves et Marie Le Quellec, laissés dans toute la vigueur rayonnante de leur trentaine, déclinaient vers la vieillesse. Les cheveux de l'ingénieur grisonnaient. Son sympathique visage, agrémenté d'une moustache désormais poivre et sel, portait la marque indélébile des nuits sans sommeil, des mois d'angoisse, des espoirs déçus. Son regard, autrefois si enjoué, teinté d'un humour que James Larkin, en le taquinant, qualifiait de typiquement français, ne parvenait pas, même en ces moments de liesse, à chasser les lourds nuages de chagrin qui s'y étaient accumulés. Quant à Marie, cette élégante jeune femme qui faisait l'admiration —et parfois la jalousie— de ceux qui l'approchaient, avait perdu la grâce, la fraîcheur, l'éclat qui la rendaient si charmante et si attachante. Vêtue de grand deuil, osseuse à force de maigreur, le regard éperdu, la peau livide, elle paraissait comme effrayée par le bonheur brutal qui s'était abattu sur elle quand elle avait depuis longtemps cessé de l'attendre. Son sourire figé, son expression hagarde, ses yeux rougis de larmes ne reflétaient aucune joie intérieure. Marie Le Quellec avait tout bonnement désappris d'être heureuse.

En théorie, les trois frères savaient que cela avait dû être extrêmement dur pour leurs parents de vivre cette année presque et demie d'incertitude, puis d'ignorance, puis de conviction quant au sort tragique de leurs enfants. Mais ils n'avaient jamais imaginé que cela pût les transformer si radicalement jusque dans leur aspect physique. La métamorphose de leur mère adorée, vénérée, presque idolâtrée les épouvantait bien au-delà des mots. Ils sentaient tous, sans pouvoir échanger entre eux, qu'il s'était produit là une cassure irrémédiable, que leur retour ne leur rendrait jamais le père et la mère qu'ils avaient connus et aimés durant leurs premières années. Mais dans leur naïveté, ils n'imaginaient pas non plus que leurs parents, les autres adultes présents ne voyaient pas en eux les insouciants jeunes garçons qui s'étaient embarqués pour l'île d'Ismaël seize mois plus tôt. Car ils avaient tous trois terriblement changé et ne le soupçonnaient pas.

Yannick était un solide gaillard d'une quinzaine d'années auquel on aurait facilement donné un ou deux ans de plus. Il paraissait avoir atteint sa taille d'homme ou presque. Bien découplé, moyennement grand, la lèvre supérieure déjà ornée d'une ombre de moustache dont il était très fier, il respirait toujours autant la santé, la bonne humeur, l'enthousiasme. Mais ce n'était plus un enfant, on le sentait, c'était un adulte qui avait appris à canaliser ses émotions, qui savait réfléchir et ne plus se laisser emporter par sa fougue.

S'il avait évolué dans la ligne de son enfance, on ne pouvait en dire autant de Gwénaël. Le benjamin était tout simplement méconnaissable. Plus que son aspect physique, ses cheveux blonds décolorés par le soleil, sa peau tannée par le grand air, c'était son expression qui créait la surprise, un air farouche d'enfant qui n'en est plus un parce qu'il a traversé trop d'épreuves, parce qu'il a rencontré le mal sous toutes ses formes, parce qu'il a souffert dans son cœur et dans son corps. Le regard surtout impressionnait : il était lourd de violentes révoltes, de haine, de défiance, de blessures cachées, celui de ceux qui ont appris la vie trop tôt et qui pour faire face se sont construits une cuirasse hérissée de piquants. Qu'est-ce qui faisait que les deux frères soient soudain dissemblables alors qu'ils avaient partagé les mêmes expériences ?

Pensant qu'une réponse pouvait être dans le troisième membre du trio, les adultes présents la cherchèrent chez le musicien. Ils ne la trouvèrent pas. Emmanuel, déjà mûr avant de partir, l'était seulement beaucoup plus. Il avait poussé tout en hauteur, « sans perdre de temps pour engraisser » selon la formule de Taylor ce qui contribuait à en faire un adolescent dégingandé, aux membres interminables. Sa physionomie était, au vu des circonstances joyeuses, d'une gravité inappropriée. Plus inquiétant, quelque chose semblait être brisé en lui. Dans les yeux si bleus ne brillait plus cette flamme intérieure qui en faisait un être si attachant et si supérieur à son âge. Et pourquoi chez lui voyait-on les signes infaillibles d'une fatigue très prononcée ? Pourquoi était-il si amaigri ? Pourquoi était-il comme éteint ?

Toutes ces considérations, de part et d'autre, se firent très rapidement. Mais elles contribuèrent à créer un vif sentiment de malaise. Il fallait sortir à tout prix du silence qui menaçait de s'éterniser.

Fabian Smith se trouva à point nommé pour devenir le centre de tous les regards. C'était un inconnu. Un vrai, celui-là. Il était permis de s'interroger. De se montrer sincèrement surpris de le voir là, dans une réunion de famille qui aurait dû être intime.

James Larkin ne laissa pas le temps au jeune homme de répondre aux questions qui montaient aux lèvres des Le Quellec. Il s'approcha de lui, lui prit la main et le fit avancer au milieu de la pièce :

— Mes amis, il est temps que je vous présente le sauveur de vos enfants !

— Le sauveur ! s'exclamèrent Marie et Yves avec un parfait ensemble, mais pâles d'émotion et déjà de reconnaissance.

Les trois frères risquèrent un échange de regard. Qu'est-ce que cela signifiait de la part du capitaine ? On aurait pu croire à une monstrueuse attaque d'ironie. Or, l'honnête visage du marin était à cent lieues d'exprimer une joie malsaine. Et celui de Taylor rayonnait. Fabian, quant à lui, ne sachant ce qui lui arrivait, gardait les yeux baissés, épouvanté.

— Oui, mes amis. Oui ! Le sauveur ! Un homme que je croyais perverti dans le mal comme ses compagnons. Un homme que j'aurais fait pendre avec joie à la plus haute vergue du premier bâtiment venu et là-dessus, Peter ne me démentira pas ! Un homme qui nous a trompés afin d'avoir les mains libres pour agir ! Ah, Smith, mon ami, nous pardonneras-tu d'avoir été aveugles à ce point et de n'avoir pas vu que tu essayais de donner le change pour pouvoir mieux protéger nos enfants ?

Fabian Smith défaillait. Maintenant, il comprenait qu'un profond bouleversement pouvait malmener ses intestins. Un goût âcre montait à sa gorge. Il se raidissait de toutes ses forces pour ne pas tomber. Sa main, devenue moite et glacée, tremblait dans celle de James Larkin. Plus que jamais, il regardait ses pieds, s'attendant à ce que la terre s'ouvre devant lui, à ce qu'il se réveille dans un cachot obscur, à ce qu'il consomme sa honte en s'évanouissant comme une femmelette.

— Parle, James ! Parle ! Explique-nous !

— Ce que veut dire le capitaine, intervint alors Emmanuel en contournant le divan sur lequel sa mère était à demi étendue et en s'approchant de Smith pour lui prendre la main qu'il avait de libre, c'est que Fabian Smith, matelot à bord du Saint-John, n'était pas du groupe des mutins mais qu'il s'est fait passer pour tel, y compris devant le capitaine et monsieur Taylor, y compris devant nous, afin de pouvoir nous venir en aide et finalement de nous sauver comme nos récits vous le raconteront plus tard !

— Tu n'as rien soupçonné, James ? Ni toi, Peter ? s'écria l'ingénieur d'un ton de reproche.

— A quoi cela aurait servi que nous vous donnions de faux espoirs ? rétorqua James Larkin.

— Avouons qu'en dépit de la sympathie que nous avions pour Smith, nous l'avons cru un traître, comme les autres... ajouta Taylor qui voulait essayer de rester au plus près de la vérité.

— Nous aussi, dit alors Yannick dont la voix grave surprit tout le monde. Ce n'est que quand il a sauvé Emmanuel que... que nous avons... compris...

Sous les éclairs qui jaillissaient des yeux de son frère, Yannick eut du mal à achever sa phrase, comprenant, un peu tard, qu'il avait parlé de manière inconsidérée.

— Il a sauvé Emmanuel ? demanda Marie Le Quellec en se soulevant à demi, inquiète. Et de quoi ?

Emmanuel, abandonnant Fabian, bondit auprès de sa mère pour la rassurer en passant ses bras autour de son cou dans un geste affectueux et spontané assez inhabituel pour lui.

— Du naufrage, maman chérie.

— Un naufrage, oh mon Dieu !

— Tout va bien puisque nous en sommes ressortis !

— Ah ça, madame Marie, interrompit Joséphine, je sens qu'on en vient aux récits. Je demande bien pardon à ces messieurs, mais moi, je ne veux plus voir madame Marie dans ces vilains vêtements noirs. Et puis, vous avez une tête à mourir de faim. Je vais vous apporter à manger. Ensuite, vous pourrez faire vos récits !

— Soit, ma bonne Joséphine, mais auparavant, j'ai une chose très importante à faire...

Marie se mit debout avec l'aide d'Emmanuel et, encore mal assurée sur ses jambes, fit deux pas vers Smith.

— Mon ami, s'écria-t-elle en lui tendant ses deux mains si blanches et si maigres, mon ami, permets-moi de t'embrasser comme le réclame mon cœur de mère. Tu ne sauras jamais combien il a besoin de t'exprimer ma reconnaissance de nous avoir rendu nos trois trésors.

Presque paralysé d'émotion, plus mort que vif, Smith se laissa étreindre par la jeune femme. Il n'en pouvait plus. Il était arrivé à Sydney comme un coupable repentant, bien résolu à ne rien faire pour se soustraire aux conséquences de ses crimes. Il s'était armé contre les difficultés, les attaques, les avanies, les injustices, les incompréhensions qui, selon lui, feraient partie de son expiation. Il croyait avoir tout prévu, tout imaginé. Tout. Sauf une chose : être accueilli comme un héros et cela avant même une quelconque intervention des enfants qui revenaient avec lui. Etre considéré comme un sauveur par le capitaine Larkin et Taylor, les deux hommes qu'il avait laissé livrer aux flots sans lever le petit doigt pour les sauver, eux qui avaient assisté de leurs propres yeux au supplice du jeune Emmanuel. Pourquoi un tel revirement ? Et évidemment, Emmanuel s'était fait un malin plaisir d'enfoncer le clou et de bien mettre les points sur les « i »... Tout cela était une hypocrisie monstre. Comment pouvait-il se laisser embrasser par la mère des malheureux enfants ?

— Je... Je... bégaya-t-il dans une dérisoire tentative de restaurer la vérité.

— Tais-toi, mon ami ! Tais-toi ! Tu serais capable de nier l'évidence par humilité. Mais on ne trompe pas un cœur de mère !

— Madame Marie, laissez-moi aussi embrasser le sauveur de mes petits ! J'y ai bien droit aussi !

Sans façon, Joséphine déposa deux baisers sonores sur les joues rugueuses du jeune homme dont la tête tournait complètement et qui semblait vivre un affreux cauchemar.

— Et maintenant, messieurs, nous vous abandonnons provisoirement. Surtout, ne commencez pas les récits sans nous. Je vous apporte à manger. Vous n'allez pas rester longtemps aussi maigres que des échalas ! Je ne sais pas qui vous a nourris, mais je ne lui ferai pas mon compliment ! Comptez sur moi pour remédier à cela !

Gwénaël sauta au cou de Joséphine tandis que ses frères riaient de bon cœur. C'était réconfortant de retrouver la chère femme si semblable à elle-même, ronchonnante, bourrue, grommelante, si préoccupée de leur santé. Au moins, ni elle, ni Mazhev n'avaient changé. Dans cette maison qu'ils retrouvaient comme des étrangers, le couple breton apparaissait comme un roc solide, immuable.

Pendant ce temps, Fabian avait fini par trouver refuge sur le premier siège venu, terrifié de se retrouver soudain prisonnier d'autrui sans la possibilité de s'affirmer pour ce qu'il était. Etait-il donc retombé dans sa lâcheté ? Mais comment hurler à ces pauvres gens que rien de ce qu'ils croyaient n'était vrai ? Ils s'émerveilleraient de son humilité, ils applaudiraient sa modestie... Le capitaine et Taylor mentaient effrontément. Eux, ils savaient ce qui s'était passé. Pourquoi le défendaient-ils si spontanément ?

Yannick, à un regard de son frère, comprit que celui-ci l'incitait à meubler le silence pour détourner l'attention de Smith et lui permettre de reprendre ses esprits. Il s'empressa donc de demander à son père et aux deux officiers ce qui s'était passé en leur absence et comment ils avaient pu rentrer à Sydney. Ravi de parler sans crainte de travestir la vérité, James Larkin raconta que par très grande chance, ils avaient pu être recueillis trois jours après la mutinerie par un bâtiment se rendant à Sydney où ils étaient arrivés une semaine plus tard.

— Je vous laisse imaginer ce qu'était ce retour. Nous aurions préféré mourir l'un et l'autre plutôt que de devoir affronter toutes les familles et celle-ci en particulier. Comment annoncer un gâchis pareil dont je me sentais totalement responsable puisque j'avais accepté ces forbans dans mon équipage ? Cependant, nous n'avions pas le choix car l'important était de tout mettre en œuvre pour vous trouver.

— Vous nous avez donc recherchés ? demanda naïvement Yannick.

— Comment peux-tu croire que nous soyons restés sans rien faire ? Toutes les polices du monde ont été mises sur les traces du Saint-John. Votre signalement était donné partout. Nous pensions que vous alliez être l'objet d'une demande de rançon. Sinon, comment s'expliquait le fait que nous n'ayons pas été tués...

— Par l'intervention courageuse de Fabian Smith...

Le capitaine et Taylor tournèrent leurs regards vers Emmanuel qui venait de faire cette précision d'un ton posé.

— Quoi ?

Smith, qui avait commencé à respirer un peu plus normalement depuis qu'il avait cessé d'être le centre d'intérêt, sentit un étau lui resserrer le cœur. Pourquoi Emmanuel avait-il cru bon de le remettre sur la sellette ?

— Autant dire tout de suite ce qu'il en est, expliqua le garçon, toujours très calme, un peu détaché même. Fabian Smith a intercédé pour vous auprès du cerveau de la machination, l'infâme Owen, et a failli laisser sa vie dans cette tentative. Quant aux projets d'Owen, personne d'entre nous ne les connaît.

— Oh, Smith, mon ami, comment avons-nous pu si mal te juger ? s'écria Taylor en serrant les mains du jeune homme à les briser.

De nouveaux sanglots oppressèrent la poitrine de Fabian. Oui, il avait tenté l'impossible pour arracher les deux officiers à la mort, mais il n'en était pas moins un complice d'Owen. Pourquoi Emmanuel ne le laissait-il pas en paix ?

— Si cela peut vous rassurer, monsieur Taylor, reprit le musicien avec un sourire, nous avons aussi beaucoup douté. Mais nous nous éloignons de ce qui nous intéresse : après avoir mis toutes les polices du monde sur nos traces, qu'avez-vous fait ? Attendu ?

— Nous nous sommes rongés les sangs. Nous attendions cette fameuse demande de rançon estimant que les ravisseurs ne pouvaient qu'avoir cela en tête en vous gardant à bord. Rien n'est venu. Par contre, nous avons appris que le surlendemain de la mutinerie, une dépression avait balayé cette partie du Pacifique faisant de gros dégâts aux Fidji. Comme les semaines, puis les mois passaient sans avoir la moindre nouvelle, nous avons fini par avoir la certitude que vous aviez péri corps et biens très peu de temps après que nous vous ayons quittés. Un tel silence ne pouvait s'expliquer qu'ainsi pour nous. C'est d'ailleurs la conclusion qu'ont donné les autorités du port. Il ne nous restait plus qu'à pleurer et à prier.

— Si je comprends bien, poursuivit Taylor qui durant le court récit de James avait opiné de la tête, vous avez eu la chance de faire naufrage. Comment avez...

— Monsieur Taylor, attendez maman et Joséphine, je vous en supplie ! s'écria Yannick.

— Que veux-tu, nous languissons d'avoir des récits ! Mais tu as raison, mon garçon ! Nous avons attendu seize mois, nous pouvons attendre quelques minutes de plus...

Un accord dissonant ébranla le salon. Emmanuel avait rejoint son piano et ouvert les hostilités. Ce début sauvage fit froid dans le dos de tous. Par cette brèche ouverte s'écoula un magma chaotique de doubles croches et de rythmes syncopés. Si le garçon s'était montré, selon son habitude, plutôt réservé et laconique dans ses propos, son discours artistique s'avéra beaucoup plus passionné. Les trois hommes qui l'écoutaient (Fabian ne comptait pas, étant un habitué des récitals tourmentés) y trouvèrent des sujets de sérieuse inquiétude. Cette improvisation ressemblait trop à une lutte éperdue contre les puissances du mal pour que l'on pût imaginer que les mois écoulés avaient été raisonnablement faciles. Le drame que les bouches ne révéleraient peut-être pas, celui qu'on devinait sur les visages des deux plus jeunes, s'étalait ainsi, crypté et terrible.

Yves Le Quellec, en entendant ces notes pressées, haletantes, descendantes, souffrait intensément : elles lui laissaient entrevoir un fils plus étranger encore que par le passé. Cela lui fut si pénible qu'il voulut s'éloigner de ses compagnons abîmés dans leur écoute et partit se réfugier sur le balcon ombragé de bougainvillées. Là, assis ou plutôt tassé sur lui-même, se trouvait déjà Fabian Smith que le même désir de solitude avait attiré là, incapable de rester en compagnie de gens qui voulaient le faire être ce qu'il n'était pas.

Le beau visage creusé et intelligent de l'ingénieur s'irradia d'un vrai sourire en découvrant le jeune homme.

— Monsieur Smith, dit-il en lui tendant les deux mains, je ne vous ai pas encore parlé. C'est que les mots me manquent pour vous demander pardon d'avoir douté de vous et pour vous remercier. Vous dire un simple merci alors que vous refaites battre un cœur brisé de désespoir, c'est d'une banalité affligeante. Mais je suis pauvre devant le bonheur comme dans le malheur.

Smith ne savait pas ce qui le bouleversait le plus, la position si fausse dans laquelle il se trouvait ou la grandeur toute simple d'Yves Le Quellec. Il trouva cependant la force de répondre :

— Je suis bien indigne de votre reconnaissance, monsieur. S'il y en a un qui porte une responsabilité dans ce retour d'aujourd'hui, c'est votre fils, votre Emmanuel.

L'ingénieur posa sur le pianiste un regard blessé avant de murmurer :

— Mon fils, devenu cet inconnu...

Sidéré par ce cri d'agonie d'un père éprouvé, sachant tout ce que son ami portait dans son cœur d'amour et de dévotion pour sa famille adoptive, le jeune homme trouva en lui les ressources de s'écrier avec feu :

— Ne vous fiez pas aux apparences, monsieur !...

D'un geste, Yves l'interrompit.

— Ne poursuivez pas, monsieur Smith. Votre intervention vous fait honneur, mais je maintiens ce que je dis. Cet enfant, déjà si difficile à comprendre, est désormais un complet étranger. Désormais, la souffrance nous sépare, la sienne et la nôtre...

— Qu'est-ce que j'entends, Yves ? Un jour comme aujourd'hui, tu tombes dans le pessimisme et tu essaies d'y entraîner le malheureux Smith ?

— Nous parlions d'Emmanuel, James, dit gravement l'ingénieur en se tournant vers son ami, arrivé sans bruit auprès d'eux.

— Je m'en doutais un peu, figure-toi ! Avec une musique pareille, on peut difficilement avoir le cœur qui bat normalement ! C'est un peu violent et agressif...

— C'est désespéré...

— N'exagère donc pas...

— Il devrait exploser de joie, or je n'ai rien entendu de plus lugubre de ma vie !

— Lugubre, c'est beaucoup dire. Allons, mes amis, venez donc, je crois que Marie va revenir.

De fait, au moment où ils quittaient le balcon pour le plus grand soulagement de Smith qui redoutait des questions embarrassantes, la jeune femme faisait son apparition, sous les applaudissements frénétiques de Yannick et Gwénaël. Emmanuel qui, de son piano, faisait face à la porte, vit aussi sa mère entrer dans la pièce, vêtue d'une robe d'organdi d'un bleu de myosotis qu'il aimait tout particulièrement. Il se crut revenu quelques années en arrière. Tandis que ses frères se ruaient sur elle en la soulevant de terre et en l'étouffant de baisers, il changea brusquement de tonalité et exécuta une sorte de gigue endiablée, exubérante de joie et de vie.

— Alors, mon cher Yves, diras-tu encore que ton fils est un mélancolique endurci ? murmura James Larkin à l'oreille de son ami.

L'ingénieur ne répondit pas tout de suite. Il considérait le tableau de sa femme et des deux garçons avec ravissement.

— Regarde Marie, souffla-t-il d'une voix tremblante. Qu'elle est belle !

Ni le capitaine, ni le second n'allaient le démentir. Encore moins Fabian Smith qui, n'ayant jamais connu sa propre mère, découvrait en Marie Le Quellec un paradis de beauté, de bonté, de tendresse, bref de perfection. Il se souvenait aussi de l'étreinte de la jeune femme, de son parfum, de la douceur de sa peau. Il aurait voulu avoir l'âge de Gwénaël pour pouvoir sans pudeur se nicher dans des bras si aimants.

Joséphine suivit de près la jeune femme. Elle disposa sur toutes les surfaces disponibles des tasses, des théières, des assiettes et une profusion de cakes, cookies, sablés et même un énorme gâteau breton qui attira Yannick et Gwénaël plus sûrement que le sucre attire les fourmis. N'y avait-il pas de la gelée de groseilles et de la compote de framboises pour aller avec ?

— D'où sortez-vous tout cela, ma brave Joséphine ? demanda James Larkin, stupéfait par l'étalage de tant de richesses comestibles en si peu de temps.

— Dame, capitaine, il faut savoir prévoir ! C'est bien beau de se lamenter et de prier Sainte Anne ô bonne mère, mais il faut agir aussi ! La preuve, c'est qu'on en a bien besoin de mes gâteaux aujourd'hui.

— Comme nous avons eu besoin de ta foi et de ton optimisme durant ces mois d'épreuves ! s'écria l'ingénieur dans un élan qui s'arrêta sur la vaste poitrine de la Bretonne. Que serions-nous devenus sans toi ?

— Allez, monsieur Yves ! Ne pensez plus au passé ! Mangez ! Vous ressemblez à un hareng desséché, comme vos enfants ! La joie, ça doit vous creuser !

Yannick et Gwénaël, plus prosaïques, bavaient d'envie devant le gâteau, si jaune, si moelleux de beurre salé dont ils avaient rêvé honteusement, sans se l'avouer, durant leur séjour à Nedeleg Island.

— Emmanuel, vas-tu bien laisser ce piano ? grommela Joséphine après avoir très généreusement servi les deux autres garçons affamés. Toujours le même, cet artiste ! C'est épais comme une crevette et ça ne mange pas !

Le musicien termina son improvisation par quelques modulations avant de planter une série d'accords éclatants et de se lever pour répondre à l'invitation de la cuisinière. Comme en raison de son angoisse, il n'avait quasiment rien avalé depuis quatre jours et maintenant que l'émotion des retrouvailles était derrière lui, il se découvrait une faim de loup. Lui non plus n'était pas indifférent à l'odeur si agréable qui se dégageait des plats disposés autour de lui. Joséphine lui coupa une large part de farz aux pruneaux et son bon visage se plissa de satisfaction en le voyant l'engloutir à belles dents.

— Et vous jeune homme, dit-elle alors en se tournant vers Fabian Smith qui cherchait toujours à se faire le plus petit possible et qui aurait disparu avec plaisir dans le moindre trou de souris. Qu'allez-vous manger ? Ah non, ne refusez pas ! Vous n'êtes guère plus reluisant que cette tribu de sauvageons faméliques !

Smith ne savait plus où se mettre. Quand toute cette mascarade se terminerait-elle ?

— Ma chère Joséphine, tu es en train d'affoler ce pauvre garçon, intervint Marie Le Quellec en s'approchant d'eux. Monsieur Smith, n'en voulez pas à notre Joséphine de vouloir veiller sur votre santé. C'est qu'elle vous a adopté comme un membre de la famille.

Adopté ? Lui, l'orphelin ? Adopté comme Emmanuel dans cette famille sublime ? Il était déjà accueilli comme il ne le méritait pas.

— Ne refuse pas cette chance, mon cher Fabian, dit à son tour Emmanuel après avoir avalé le dernier morceau de son farz. Tu ne peux souhaiter être en de meilleures mains !

— D'ailleurs, monsieur Smith, sachez que cette maison est et sera la vôtre aussi longtemps que vous le désirerez ! Si personne ne vous attend, vous êtes ici chez vous !

— Mais... mais, bredouilla le jeune homme.

— Fabian n'a aucune famille, interrompit Emmanuel, en posant la main sur l'épaule de son ami comme pour lui apporter son indéfectible réconfort. Et il a été un frère pour nous.

— Je suis donc heureuse d'en faire mon quatrième fils, dit gracieusement Marie tandis qu'à nouveau étouffé par l'émotion —décidemment, la journée était faste—, Smith ne pouvait rien faire d'autre que lui baiser les mains en pleurant.

— C'est bien joli, tout cela, fit Emmanuel en lorgnant vers le gâteau breton, mais tout cela me creuse l'estomac. Joséphine, je peux avoir un autre morceau ?

Entendre son artiste quémander une deuxième portion transporta d'aise la Bretonne qui se hâta de le servir. Gwénaël et Yannick ne demandaient rien à personne et se délectaient au risque d'une indigestion.

— Et comme il est impoli de parler la bouche pleine, soupira comiquement James Larkin affalé dans un fauteuil et ayant lui aussi largement succombé au péché de gourmandise, nous en sommes réduits à attendre vos récits pendant encore de longues heures...

— Mais non, capitaine ! s'écria Gwénaël qui manqua de s'étrangler avec le noyau du pruneau coincé dans sa gorge.

Enfin, les enfants rassasiés, au moins jusqu'au soir, les parents, les officiers, Joséphine et Mazhev purent s'asseoir en cercle et se disposer à écouter les récits des quatre revenants. Yannick, bavard comme à son habitude, fut un porte-parole enthousiaste et plein d'humour mais ses auditeurs ne tardèrent pas à perdre pied dans une chronologie plutôt confuse si bien qu'il finit par répondre de manière circonstanciées aux questions qu'on lui posait. Emmanuel, retranché sur son tabouret de piano, un peu à l'écart, suivait la scène d'une oreille très attentive, priant secrètement pour que son aîné ne se laisse pas emporter par ses histoires et reste discret sur des événements qu'il ne fallait pas ébruiter.

Car James Larkin et Taylor étaient très intéressés par toute la partie qui avait suivi la mutinerie et leur abandon sur la chaloupe. Or, ce fut banal : les enfants étaient parqués à l'arrière, la tempête était arrivée, ils avaient fait naufrage et s'étaient retrouvés sur une île déserte, les mutins et un de leurs camarades, Dominique Williams, étaient morts noyés. Seul avait survécu, providentiellement, Smith qui, lui, ne faisait pas partie des mutins. La chose était trop simple pour être crédible. Quant aux circonstances du sauvetage, elles étaient aussi complètement farfelues. Comment croire à pareil concours de coïncidences ? Tout semblait faux. Owen n'était pas homme à se laisser bêtement noyer.

— Ainsi donc, cela a été aussi facile que cela : un superbe naufrage qui vous délivre de vos ravisseurs et du camarade que vous détestez, une île paradisiaque, les capacités pour construire une pirogue et hop, l'un de vous, vogue allégrement vers la terre la plus proche chercher du secours. C'est cela, non ?

Le ton de James Larkin était d'une ironie mordante qui ne fut pas du goût de Gwénaël.

— Bien sûr que c'est cela ! Vous n'allez pas nous accuser d'avoir tout inventé quand même ?

Les yeux bleus du benjamin fulguraient. On sentait qu'il s'en fallait de peu qu'il ne sorte les griffes et ne se jette sur le capitaine pour lui faire un mauvais parti.

— Soyons méthodiques, intervint alors Peter Taylor d'un ton calme, jugeant prudent de ne pas mettre le feu aux poudres. A quelle distance de Nouméa étiez-vous ? Avez-vous pu vraiment mesurer ? Quinze milles ? Vingt-cinq ? Cinquante ?

Yannick se tourna vers Smith qui, comme les autres, avait écouté le discours édulcoré en se disant que personne ne pouvait croire à tant de bonne fortune.

— Dis-leur, toi ! Ils te croiront peut-être ? Ils se moquent de...

— Non, nous ne nous moquons pas, reprit Taylor, posément. Nous essayons de comprendre.

— Dites-nous, monsieur Smith ! dit l'ingénieur à son tour.

Le jeune homme détestait tous ces regards braqués sur lui. Mais au moins, pour une fois, il pouvait sans crainte dire la vérité et l'établir sur le vrai héros de l'histoire :

— Il est vrai que c'est incroyable. Il s'agissait plutôt de quelque chose comme deux cents milles. C'est ce qu'a conclu le lieutenant du Bourgogne.

— Deux cents ? s'écria James Larkin, ahuri.

— Deux cents ? renchérit Taylor, les yeux écarquillés.

— Et tu restes là sur ton tabouret comme s'il n'y avait rien de plus naturel ! reprit le capitaine en allant secouer Emmanuel d'un geste mi-bourru, mi affectueux. Non mais, mes amis, vous vous rendez compte de l'exploit de ce garçon ?

Emmanuel, n'appréciant guère cette attention trop portée sur lui, chercha à se dégager et haussa les épaules :

— Il n'y a rien de bien extraordinaire, grommela-t-il en faisant des efforts pour masquer son mécontentement. Vous avez fait la même chose avec Monsieur Taylor !

— Dois-je te rappeler que je n'avais pas franchement le choix ? rétorqua le capitaine avec vivacité. Et pour te dire la vérité, je ne garde pas un très bon souvenir de l'expérience ! Combien de temps as-tu passé seul en mer ?

De plus en plus agacé, le musicien serra les dents.

— Je ne sais pas, moi, une quinzaine de jours...

— Les bras m'en tombent !

— Il dit la vérité ! rugit Gwénaël qui voyait dans la stupéfaction bruyante de James Larkin un signe de doute.

— Oui ! C'est grâce à lui que nous sommes ici ! approuva Yannick avec vigueur pour défendre son frère.

— Bon, ça suffit ! trancha le musicien qui n'en pouvait plus de se contrôler alors qu'il voulait exploser. On ne va pas en faire tout un plat jusqu'à demain. Ce serait ridicule. Comme s'il n'était pas plus important de vous dire comment nous avons réussi à supporter Maximilien de Hautefort pendant tous ces mois !

Il avait fait de louables efforts pour atténuer la rudesse de son éclat en concluant sur une note d'humour, un peu grinçant certes, mais qui voulait relancer la conversation sur des sujets plus faciles à accepter pour sa modestie naturelle.

Chacun se dépêcha de saisir la perche tendue et les langues, un moment silencieuses, reprirent de plus belle, sans que toutefois Emmanuel y participe. Lorsque dans le silence de la nuit, les adultes se retrouvèrent seuls, ils songèrent que les trois enfants étaient devenus aussi rétifs que des étalons. Ils réagissaient tous de manière épidermique, se croyant constamment menacés par une question, par une remarque, par un regard, comme s'ils étaient cernés par des ennemis invisibles. Si la vie sur Nedeleg Island avait été aussi facile qu'ils le racontaient, comment pouvait-on expliquer ce comportement ? Pas seulement par le fait qu'ils aient un an de plus et vécu loin de toute discipline parentale durant ce temps. On les sentait blessés, fragilisés, terriblement vulnérables sous leurs airs de défi et d'insolence. C'était la confirmation de ce que révélaient les visages de Gwénaël et d'Emmanuel. Yannick paraissait mieux équilibré. Il faudrait manœuvrer avec souplesse et tact pour savoir la vérité et atténuer les conséquences de cette expérience visiblement très difficile à vivre pour les deux enfants les plus sensibles. Il serait intéressant de savoir comment les autres garçons du groupe avaient évolué.

Il y eut de nombreuses larmes ce soir là, dans l'intimité des chambres et elles ne furent pas toutes de joie, bien au contraire. Fabian Smith se torturait l'esprit pour savoir comment il allait pouvoir sortir de sa position si fausse. Il sanglotait désespérément sous son oreiller afin de ne pas être entendu d'oreilles peut-être indiscrètes. Il se croyait à nouveau la proie de sa lâcheté parce qu'il s'était tu et avait laissé faire. Cela l'affolait.

Si Yannick dormit parfaitement bien, il n'en fut pas de même de Gwénaël et d'Emmanuel. Le plus jeune pleurait sur son enfance perdue et ses parents qu'il ne retrouvait pas identiques à eux-mêmes. Il avait rêvé de ce retour. Rêvé d'être à nouveau un petit garçon innocent et ignorant du mal et de la souffrance. Il s'apercevait qu'il n'était qu'un écorché vif qui ne supportait rien de la part de ceux qu'il aimait tant. Tout l'agaçait. Il étouffait. Le poids de l'indicible l'accablait. Jamais il ne pourrait dire à personne l'effroi quand il avait cru Emmanuel mort, quand il avait été frappé par les pirates pour protéger son frère, quand il avait cru que celui-ci allait se supprimer parce que Yannick l'avait renié... Tant d'événements et de sentiments qu'il ne pourrait jamais partager, qu'il devrait toujours garder en lui. Et cette attente, pendant des semaines, à imaginer que le musicien allait mourir en mer pour les sauver tous... Seul, il était seul avec sa souffrance.

Emmanuel ne ferma guère l'œil non plus. Incapable de dormir, il ressortit pour se rendre sur son refuge favori, Shark Point. Il n'avait plus le Saint-John pour héberger ses angoisses et ses doutes. Or il avait besoin d'air après le confinement de l'après-midi dans le salon. James Larkin qui depuis son retour à Sydney demeurait à Ti-Ar-Mor avec Taylor et qui, ne trouvant pas le sommeil, songeait tristement accoudé à la fenêtre, vit le garçon s'éloigner vers la pointe, Kinou auprès de lui. Il était très soucieux en raison du comportement des garçons. Il n'avait pas eu de réponse aux questions qu'il avait posées. Ou plutôt si, les réponses avaient été aussi honnêtes que sa propre interprétation du dévouement de Smith. Il était certain que le jeune homme avait changé et qu'il n'était pas vraiment un mutin. De là à en faire le héros qu'il avait peint, il y avait un gouffre qu'il n'avait pas hésité à franchir. Pourquoi en vouloir aux garçons d'avoir poursuivi dans cette voie du mensonge ? Car après le châtiment d'Emmanuel, que s'était-il passé ? Owen n'était pas homme à laisser un crime impuni or Smith l'avait arrangé de belle manière. Comment se faisait-il que ceux dont on avait eu intérêt à se débarrasser fussent tous noyés au moment opportun ? Et cette agressivité à fleur de peau du musicien ? Cette volonté de rester discret, cette tension palpable, ces efforts pour rester correct alors qu'il contenait difficilement sa rage, les stigmates d'une grande souffrance autant morale que physique, tout cela incitait à l'inquiétude. Car James Larkin connaissait la capacité de silence de celui qui avait failli lui tirer sa révérence quelques années plus tôt, justement à force de garder pour lui des sentiments trop puissants. Il se croyait d'ailleurs revenu sur le Golden Star : c'était ce même regard buté, inflexible, farouche qui hurlait de détresse et qui interdisait qu'on s'apitoie sur son sort. Mais les circonstances n'étaient hélas plus les mêmes. Les Le Quellec n'étaient plus les jeunes parents équilibrés et solides du passé. Ils étaient complètement cassés par leur propre souffrance, ces mois durant lesquels ils avaient commencé par espérer puis qu'ils avaient achevés en prenant le deuil de leurs trois enfants. Le capitaine augurait mal de la suite des événements : ce couple meurtri saurait-il faire preuve de tolérance à l'égard des trois enfants qui s'étaient bien émancipés mais qui avaient toujours besoin de guides compréhensifs, aimants et résistants ? Amadouer Emmanuel et Gwénaël serait une rude tâche, leur faire baisser leurs défenses nécessiterait une infinie patience. L'auraient-ils ? James Larkin se promit d'en parler avec Taylor et de tout faire pour aider à la réinsertion des trois jeunes. La situation pouvait certainement dégénérer si on n'y était pas attentif. Mieux valait prévenir vite plutôt que guérir.